GOKSIN SIPAHIOGLU

 Grand photographe et chasseur de scoops,
Göksin Sipahioglu, le fondateur de l'agence Sipa, est mort le 5 octobre, à Paris. Figure emblématique du photojournalisme, le fondateur de l'agence Sipa, né en 1926 à Izmir, en Turquie, a longtemps été correspondant pour le quotidien Hürriyet. Crise des missiles à Cuba, coup de Prague, Mai 68... Peu d'événements ont échappé à son objectif. Il est décédé mercredi, à l'âge de 84 ans
Mai 1968. Göksin Sipahioglu, photographe turc, débarque à Paris, Leica au poing. C’est un « étranger à Paris », qui photographie autrement, s’attachant souvent à ce que les Français ne voient plus .. PARIS MAI 1968


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Göksin Sipahioglu, fondateur de Sipa, est mort
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Créé le 05/10/2011 à 11h22 -- Mis à jour le 05/10/2011 à 12h57

Goksin Sipahioglu, le 8 décembre 2003 à Paris dans les bureaux de Sipa DURAND FLORENCE/SIPA
CULTURE - Il avait découvert toute une génération de photographes...
Göksin Sipahioglu photographe et grand reporter turc, est mort ce mercredi 5 octobre, a informé l'agence Sipa. Né en 1926 à Izmir, en Turquie, il avait 84 ans.
Une vie rocambolesque
«Il a eu une vie formidable», raconte à 20Minutes, ému, Jean-François Leroy, fondateur et directeur du festival Visa pour l'Image. «Il avait été le seul photojournaliste pendant la crise des missiles à Cuba, l’un des premiers en Albanie. C'était un homme de coups, de scoops».
Dans sa première vie, il avait créé à 17 ans un club de sport à Istanbul – devenu quelques années de plus tard le premier club de Turquie. Dans une deuxième, il était passé au journalisme, en devenant responsable du sport du quotidien Istanbul Ekspres en 1952. C’est sans doute en 1956 qu’une autre vie commence, quand il fait son premier grand reportage, dans le Sinaï et en Israël. Il réalise ses deux premiers scoops. Il a 29 ans, il est devenu rédacteur en chef, et se met à publier des grandes photos à la une du journal, pleine page.
Puis il fonde son propre journal en 1957 et devient bientôt patron de presse. Dans les années 60, il entre à La Havane par un cargot turc, avec un passeport de marin, vend son reportage à l’agence Associated Press, fait la manchette de quarante quotidiens. Il photographie la jeunesse chinoise, est arrêté à Alger, en 1965, se fait canarder à Djibouti. Suivent Prague, Saïgon, Paris... 80 pays en cinq ans.
Découvreur de talents
Mais son talent n’était pas le seul qu’il mettait en avant. C'était aussi un merveilleux découvreur, parrain de certains des plus grands noms du photojournalisme contemporain: des stars comme Abbas ou Reza, Olivier Jobard, Catherine Leroy... «Il a lancé un nombre de photographes faramineux, nous sommes nombreux à nous sentir orphelin» lâche Jean-François Leroy. «Il avait un intérêt sincère pour les gens, juge Béatrice Garette, ancienne directrice de SIPA. Il était très curieux de tout - y compris la vie privée, sourit-elle. Et n’avait aucun préjugé sur les gens, leurs origines, leurs backgrounds. Il permettait aux gens de s’exprimer».
Et c'est notamment ce talent de découvreur qui lui avait permis de fonder avec succès l'agence Sipa, qui laissera son nom, tronqué, dans l'Histoire de la photo. C'était l'époque des agences en «A», celles qui avaient fait de Paris la capitale mondiale du photojournalisme dans les années 70 : Gamma, Sygma...Lui avait tenu plus longtemps que les autres, que Jean Monteux à Gamma ou Hubert Henrotte à Sygma, remplacés par des gestionnaires. «Göksin était un newsman, un drogué de l'info, se souvient Jean-François Leroy. Il lisait une quantité folle de quotidiens et de magazines tous les jours, il soulignait des histoires, décrochait son téléphone et disait "il faut aller là-bas!"». «Il avait un sens journalistique exceptionnel, poursuit Béatrice Garette, une vision mondiale et aigûe de l'actualité, il savait repérer les événements qui allaient "faire le buzz"».
Et Göksin Sipahioglu n’avait pas son pareil pour regarder une photo différemment des autre. Un jour, il a même fait un scoop «rien qu’en agrandissant une photo du terroriste Carlos sur l’aéroport d’Alger, racontait-il. A l’origine, c’était une petite photo dont on distinguait à peine les personnages. Agrandie, elle prenait tout son sens. Elle a fait le tour du monde. L’agence Gamma possédait la même photo, mais ils n’avaient rien remarqué».
A Sipa, il avait tenu jusqu'en 2001, année où il avait vendu son agence à Sud Communication - après avoir refusé de la vendre à Bill Gates. Ou jusqu'en 2003, époque à laquelle il avait quitté la présidence. Il avait « bon journaliste et mauvais gestionnaire». A l'agence, on disait «C'est mieux que le contraire.»
Charlotte Pudlowski


Mort de Göksin Sipahioglu, sultan du photojournalisme
LE 5 OCTOBRE 2011 12H27 | PAR RENAUD REVEL

En 1956, il débute par un scoop sur le Sinaï pour l’Istanbul Express. En 1999, il règne sur les 500 reporters de l’agence Sipa, qu’il a créée en 1973. Et tient tête aux offres de Bill Gates. Cette figure du photojournalisme, fondateur de Sipa, est décédé à l’age de 84 ans. Un géant de ce métier auquel je consacrais  en février 1999 ce long portrait dans les colonnes de l’Express:
«C’est injuste.» Dégageant son imposante stature de la profondeur de son fauteuil, Göksin Sipahioglu se dresse. Et, de sa voix traînante, glisse dans un soupire empreint de lassitude: «Je n’ai jamais douté de l’innocence des photographes. Au lendemain de la mort de Diana et de Dodi al-Fayed, j’étais pourtant bien seul. Ce n’est pas faute pourtant d’avoir été le premier à le crier, au lendemain même de l’accident du tunnel de l’Alma: le chauffeur était saoul, ce type était fou…»
Sipahioglu revoit le film du drame, comme s’il avait eu lieu la veille. Avant de le ranger parmi tous les souvenirs qui peuplent une mémoire encombrée. Un vrai fourre-tout où se bousculent reportages au long cours, bourlingues amoureuses et scoops à la pelle… Le butin de toute une vie, des épaves du passé auxquelles ce conteur-né sait redonner, comme nul autre, saveur et valeur. Plus affectueux que déférents, ses familiers l’appellent «Sipa», tout simplement, ou encore «Göksin». Un personnage proprement étonnant. Mélange constant d’âpreté marchande et de générosité sans calcul, paradoxalement très slave, ce patron de presse peu connu, attaché à sa Turquie natale, fait figure de dinosaure aux yeux de toute une profession. L’épisode de la mort de la princesse de Galles et l’onde de choc qui s’ensuivit n’a pas réussi à entamer l’enthousiasme de ce Turc massif qui dirige, avec Sipa, l’une des très rares agences indépendantes du globe.
Mais visez donc le personnage! Un type hors norme. D’aucuns vous diront: un seigneur de la photo, si bien que le 11e Festival international du photojournalisme de Perpignan – Visa pour l’image – le célèbre comme il se doit cette année, jusqu’au 12 septembre, à la chapelle Saint-Dominique – à travers une rétrospective de son oeuvre. Une reconnaissance, car si son agence porte son nom, le grand public, qui peut aisément citer les noms d’Henri Cartier-Bresson ou de Raymond Depardon, il ignore jusqu’à l’existence de Göksin Sipahioglu – et «Sipa», à 72 ans, sort enfin de l’ombre grouillante où il s’est pourtant bâti une solide réputation, au point d’être reconnu comme l’un des chefs de file du photojournalisme dans le monde.

Comme tous les matins, au coeur du mois d’août, il est au bercail. C’est-à-dire au milieu de l’immense bureau qu’il occupe – faudrait-il dire, qu’il habite? – à raison d’une quinzaine d’heures par jour, boulevard Murat, à Paris, dans le XVIe arrondissement. Un coup d’oeil sur sa montre – il est 11 heures – un coup de fil à une ravissante assistante afin de vérifier l’identité du convive avec lequel il a pris rendez-vous aux alentours de 13 heures. Comme chaque jour, il ira déjeuner avec une personnalité du monde de la politique ou du show-biz. Et ce jeudi-là, c’est le préfet Bonnet qui figure sur son agenda, l’un des carnets les plus fournis de Paris. Déterminé, affable, roué, séducteur en diable avec, en sus, du brio: Sipahioglu est une poupée russe, l’un de ces bibelots insaisissables et dansants à l’intérieur duquel s’en dissimulent un autre, et un autre encore… Ce pourrait être une manière de masquer sa personnalité complexe, mais c’est aussi sa façon à lui d’engranger souvenirs et passions. D’abord, il y a cette silhouette élégante de sultan, immense, celle d’un mastard de 1,90 mètre, un collectionneur – notamment de conquêtes féminines – toujours bien vêtu, qui traîna, jeune, sa longue carcasse de basketteur professionnel sur les parquets d’Istanbul. Avant d’aller enfoncer, au début des années 50, en trois coups de ses épaules carrées, les portes d’un métier dont il est aujourd’hui l’un des parrains. Et puis, il y a cette chevelure blanche bien rangée, ces sourcils épais et ces rides profondes sculptant un visage mobile, qui respire la bonté et l’aisance tout orientale: «Sipa», c’est l’emblème d’une corporation. «Un homme doté d’une franchise rare», confie l’ancien patron de Paris Match, Roger Thérond. «Car quand il dit, il dit. Quand il fait, il fait.» «C’est notre muezzin», résume cet autre inconditionnel croisé dans les couloirs de l’agence.

Sa longue carrière, menée à bride abattue, a démarré par un coup de chance. Lorsque, jeune chroniqueur sportif à l’Istanbul Express, Göksin Sipahioglu se vit confier, en 1956, son tout premier reportage à l’étranger, avec la couverture de la guerre du Sinaï. Armé de deux appareils photo, dont un Rollei, qu’il avoue maintenant avoir eu «du mal à manipuler», confie-t-il dans un français chatoyant, hérité d’études effectuées au collège Saint-Joseph d’Istanbul. Le photographe débutant tombe sur un détachement de soldats égyptiens blessés. Il tient là son premier scoop, qui fera le tour du monde… L’engrenage se met alors en marche: Sipahioglu prend la rédaction en chef du quotidien qui l’emploie, avant de le transformer aussitôt. Affirmant la priorité de la photo, il lui redonne du lustre, avec, pour modèle, France-Soir, que dirige alors Pierre Lazareff, dont «Sipa» évoque la personnalité comme l’on parle d’une icône.
Et voilà Göksin qui se taille vite une réputation de chasseur d’images hors pair, révélant des qualités de reporter de choc qui lui valent alors d’entrer, en 1962, à Hürriyet, l’une des institutions de la presse turque, journal pour le compte duquel il sillonnera le monde. Sipahioglu est ainsi le premier journaliste à pénétrer en Albanie communiste; le seul
reporter à entrer clandestinement à Cuba, au moment de la crise des missiles; l’un des rares photographes aussi à sillonner l’Irak en catimini, au début des années 70, quand la presse occidentale en est alors bannie; le dénicheur, également, de la toute première photo connue du terroriste Carlos, que son oeil scanner identifia un jour au milieu de plusieurs milliers de photos anthropométriques! «Il a la baraka», disent toujours de lui ses zélateurs, comme ses détracteurs, tous effarés de voir le poisson mordre dès lors qu’il lance ses lignes.

Le 12 août, au matin, la pêche s’annonce bonne. Une trentaine de photographes dépêchés pour «couvrir» l’éclipse de soleil de la veille viennent de livrer leurs reportages; le prince Charles et Camilla ont été «shootés» en Turquie; Daniel Auteuil, de même – surpris en galante compagnie sur une plage de Saint-Tropez; tandis qu’une équipe de retour du Daguestan rapporte les premières photos du conflit; et qu’un coursier pétaradant fonce livrer à Paris Match les seuls clichés existants du cousin germain de John Kennedy Jr, dont on vient d’apprendre la disparition subite… Tel est le menu d’une journée ordinaire de la vie de Sipa. Rien que de très classique pourtant, à entendre le patron de l’agence: «Cela fait plus de trente ans que l’on fait appel à moi, dès qu’il s’agit de dénicher le cliché introuvable», affirme ce dernier, qui dit au passage adorer les «coups» (les coups fourrés s’il le faut, quand l’urgence d’une photo l’impose). Sipa, au nom immodeste, mais finalement si simple, est née en 1973. Installée d’abord avenue des Champs-Elysées, dans un réduit de quelques mètres carrés, loué 750 francs par mois, l’agence prend de l’ampleur quelques années plus tard, quand Sipahioglu et un noyau d’une dizaine de personnes investissent 170 mètres carrés rue de Berri.
Actuellement, Sipa compte 172 salariés et loge sur cinq étages dans un immeuble archimoderne, au fin fond du XVIe arrondissement de la capitale, 3 600 mètres carrés d’une ancienne fabrique de bazookas, dont les sous-sols cachaient un bunker: conservé, il abrite plusieurs tonnes d’archives, que protège de l’extérieur une lourde porte d’acier plombé. Tout aussi lestés sont les résultats financiers de la société: 6,4 millions de francs de chiffre d’affaires en 1979, aux alentours de 120 millions de francs en 1999. Après des années de creux et malgré une concurrence de plus en plus rude, le CA de Sipa n’a cessé de progresser. En particulier, ces trois dernières années: avec l’explosion du marché de la presse people, la relance de VSD, par le groupe Prisma, l’arrivée de la version française de l’espagnol Hola (Oh là!), le lancement d’Allô et, plus généralement, la part belle faite, depuis le début des années 90, par toute une partie de la presse magazine à la vie privée du gotha. Si bien que près de la moitié du chiffre d’affaires de Sipa dépend aujourd’hui des frasques d’une petite centaine de stars du show-business, qu’une armée de 500 photographes, travaillant en liaison avec l’agence, chasse, quotidiennement, à chaque coin du monde, quand elle n’est pas au Kosovo ou sur les pistes en Tartan de Séville.

Göksin Sipahioglu, esthète passionné, n’est jamais plus heureux que lorsqu’il raconte ses grandes chevauchées professionnelles d’antan. A présent, condamné, sous la pression du marché, à ratisser les retraites cachées de la jet-set, ses véritables aspirations se logent en fait ailleurs… Du coup, il n’en faut pas beaucoup à Göksin, que Roger Thérond dépeint, aussi, comme «quelqu’un d’habité par la créativité courageuse», pour évoquer, et avec quelle ferveur, ses trésors amassés au fil du temps: plusieurs dizaines de milliers de photos souvent issues de collections privées, pour la plupart rachetées à leurs propriétaires. La plus belle? Sans hésitation, à l’entendre, celle de Louis Dalmas: 10 000 négatifs – dont l’immense majorité de l’oeuvre de Raymond Depardon – achetés en 1973 à ce journaliste et réalisateur de renom, pour une bouchée de pain (200 000 francs) – «une belle affaire», concède aujourd’hui Göksin Sipahioglu. Pour le reste, c’est le tout-venant. L’agence Sipa a ainsi, en dépôt, une dizaine de catalogues qu’elle bichonne et commercialise – une activité lucrative et l’un des axes de développement de la société. Dernier client en date, TF 1, qui vient de lui confier ses archives – soit plusieurs dizaines de milliers de clichés, tout un pan de l’histoire de la télévision française.
Mais quel est donc l’ambition de Sipa? Solidement amarré à la barre de son navire, Göksin se défend de nourrir tout dessein personnel. Sauf celui de jouer le rôle d’un gestionnaire de bon sens rappelant à qui veut l’entendre l’inflexible rigueur d’un budget. Car il le sait: au premier faux pas les prédateurs qui le guettent n’en feront qu’une bouchée. C’est que l’affaire qu’il dirige attise les convoitises. Il n’est que de voir l’alignement des trophées ornant ses étagères: des dizaines de figurines en bronze glanées dans des festivals du monde entier, comme autant de récompenses qui viennent enjoliver l’histoire – et la valeur marchande – de l’agence.

Large sourire: oui, Sipa vaut de l’or. Et dans l’important mouvement de restructuration qui agite, depuis quelques années, le marché du photojournalisme, beaucoup s’interrogent sur la capacité de résistance d’une agence qui apparaît de plus en plus isolée face à l’offensive menée, à coup de millions de dollars, par les tycoons d’outre-Atlantique – et pas seulement des groupes dont les impératifs financiers s’éloignent souvent des aspirations d’une agence de presse. Le premier magnat à avoir jeté son dévolu sur l’une d’entre elles – la prestigieuse Liaison Agency, fondée en 1966 par Michel Bernard – est le milliardaire américain Mark Getty, fils du célèbre philanthrope Jean Paul Getty, pour la très modique somme de 51,6 millions de francs. C’était au mois de mai 1997 et, depuis, les choses se sont emballées. Développant une double stratégie fondée sur l’acquisition de fonds et la numérisation des clichés- ce que réalise, au
pas de charge, Göksin Sipahioglu, qui a investi plusieurs millions de francs à cet effet boulevard Murat – d’autres sont entrés sur le marché.
Commencer, d’abord, par le groupe The Image Bank, une filiale du géant Kodak, qui multiplie les acquisitions, et par le très boulimique patron de Microsoft, Bill Gates, dont la société Corbis vient de jeter son dévolu sur une autre grande agence française, Sygma. Fondée en 1989, Corbis, la banque d’images de Bill Gates, est rapidement devenue l’un des pionniers de la photographie numérique accessible sur Internet. Le fonds, évalué à 25 millions de clichés, recouvre une palette très vaste, de la photo historique aux portraits de célébrités, en passant par le photojournalisme et la photographie artistique: on y trouve ainsi les reproductions des oeuvres de la National Gallery, à Londres ou du musée de l’Ermitage, à Saint-Pétersbourg.
Voilà en tout cas de quoi éveiller, en France, bien des préventions. Y compris jusqu’à l’Hôtel Matignon, où l’on verrait d’un mauvais oeil une partie de ce patrimoine culturel national filer à l’étranger. D’autant que l’inquiétude du gouvernement semble fondée, l’ogre Gates ayant encore faim. D’où une question: qu’en sera-t-il demain du sort de Gamma et de Sipa, deux agences franchement menacées de passer, à leur tour, sous la coupe de compagnies américaines? Connaissant de graves difficultés financières, la première semble désormais la plus exposée. Recherche du beau geste, réflexe nationaliste ou expression d’une volonté d’investir à leur tour un marché qualifié de prometteur, les groupes Hachette, Vivendi (propriétaire de L’Express) et Vendôme Investissement, qui ne confirment ni n’infirment la rumeur, examineraient, du coup, l’hypothèse d’un rachat de l’agence française. Viendront-ils à la rescousse?
L’autre cible est ce grand échalas de «Sipa». En effet, combien de fois n’a-t-on pas entendu ces derniers mois le nom de Corbis dans les couloirs de l’agence? Les hommes de Bill Gates ont tenté à plusieurs reprises d’épingler à leur tableau de chasse le géant septuagénaire. On chuchote qu’une offensive éclair aurait raison du photographe, qu’une offre juteuse emporterait vite les ultimes résistances du patriarche de l’agence. Après tout, vingt-cinq ans d’un règne quasi absolu, cela ne suffit-il pas? Göksin Sipahioglu, il est vrai, n’est pas un saint, et quelques dizaines de millions de francs pourraient bien faire l’affaire. Lui-même, d’ailleurs, le concède à demi-mot. Mais lorsque l’on a consacré toute une partie de son existence à une passion dévorante et qu’un beau matin deux contrôleurs de gestion fraîchement débarqués de New York exigent votre départ au plus vite en échange d’un joli chèque, cela ne passe pas. C’est ce qui s’est produit il y a quelques mois, quand deux des dirigeants de Corbis, mandatés par Bill Gates, se sont présentés au siège de l’agence. «J’étais, il est vrai, peut-être un peu las de me battre seul à la tête de mon groupe, confie Sipahioglu, et quelque part désireux de trouver, à l’époque, un partenaire solide et intelligent, capable de développer l’agence. Mais de là à placer ma tête sur le billot pour une poignée de dollars…» Et le ton est vite monté. Göksin et les Américains sont allés déjeuner dans l’une des bonnes tables que compte la capitale, La Grande Cascade, dans le bois de Boulogne. Les Yankees ont bu de l’eau, négligé la carte et parlé marge brute, contrôle de gestion et management. Sipa, lui, a goûté une bonne bouteille, déchiffré le menu et parlé clichés, reportages et collections. Les serveurs de cet établissement cossu ont vu, quant à eux, attablés face à face, deux comptables et un artiste aux mines tendues. Aujourd’hui, le photographe, qui n’a toujours pas digéré l’affront, évoque l’épisode en expliquant sobrement: «On ne demande pas à un peintre d’abandonner son chevalet à 70 ans…» Mais ceux qui assistèrent au retour tonitruant du boss entendirent un tout autre refrain. Sipahioglu, qui aime prendre un malin plaisir à aggraver ses colères de traits merveilleusement méchants, se mit à hurler: «Je ne vais tout de même pas signer avec des gens qui ne bouffent que des sandwichs!»


Avec du panache et une audace à couper le souffle : ainsi était Göksin Sipahioglu, le fondateur de l’agence Sipa, toujours sur la brèche, comme si rien n’était plus important que l’actualité du monde en marche. Il en fut très tôt l’un des acteurs fondamentaux, cherchant toujours à arriver le premier, à l’image de ces «jockeys de l’information» qui fascinaient tant Jules Verne.

Göksin Sipahioglu aimait sauter les frontières et ne tolérait guère les barrières, comme si, depuis sa naissance à Izmir (Turquie), le 28 décembre 1926, ce chasseur de scoops se devait d’affronter la réalité, parfois la barbarie, afin d’en être l’unique témoin. La guerre du Sinaï (1956). L’Albanie, totalement autiste (1961). Cuba, pendant la crise des missiles, avec un passeport de matelot (1962). Et même la Chine de Mao en 1965, qu’il sera le premier reporter turc à découvrir, et où il réalisera l’un de ses portraits préférés, à Pékin, avec son Nikon et un téléobjectif 200 mm : «Une femme âgée collée à un arbre en fleurs comme si elle en faisait partie. Derrière, les jeunes filles pratiquaient le taï chi. Elle n’a pas bougé ; seuls ses yeux m’ont suivi.»
Il débarque à Paris en 1966, comme correspondant pour le quotidien Hürriyet. Dans la foulée des pavés de Mai 68, il crée officiellement en 1973 l’agence Sipa (raccourci de son nom), vivier instantané d’où émergent les futurs grands noms du photojournalisme, de Christine Spengler à Alain Mingam, sans oublier Abbas, Reza, Françoise de Mulder, Patrick Chauvel, etc.
Pendant de longues années, jusqu’à sa mort hier matin, à l’hôpital américain de Neuilly-sur-Seine (Hauts-de-Seine), l’agence sera le cœur de sa vie, malgré les coups durs et la crise récurrente du photojournalisme, liée à l’émergence du numérique. En 2001, il avait dû la vendre au groupe Sud Communication, avant qu’elle soit rachetée récemment par l’agence allemande DAPD.«C’était l’un des derniers seigneurs du métier», a confié à l’AFP Jean-François Leroy, directeur de Visa pour l’image, très ému.
Silhouette de héron à la chevelure auréolée, mains d’ogre et regard perçant : ainsi s’enfuit, à 84 ans, celui que l’on appelait affectueusement Göksin, et qui donna de l’espérance au photojournalisme.


 Göksin SIPAHIOGLU: le dinosaure du photojournalisme
Grand reporter, Göksin Sipahioglu a collectionné les scoops, mais sa grande fierté reste l'agence photographique Sipa, qu'il a créée dans les années 70 et qu'il dirige toujours. Ses principaux reportages - Djibouti, Cuba, Chine… - sont exposés au Visa pour l'image de Perpignan.
Michel Guerrin 
Le Monde daté du 20 novembre 1998

Sa vie rocambolesque mérite un film. Qui, après avoir exploré les tourments de la planète, finirait dans un bureau majestueux de 100 m2 baigné d'un fond musical où le « patron » reçoit, sourire de séducteur et longue mèche blanche, en vous lâchant une petite phrase qu'il savoure comme une friandise rare: « Sipa est la plus grande agence photo au monde. »
Sipa, comme Göksin Sipahioglu. Nationalité turque. Soixante-douze ans et des souvenirs extravagants, à Istanbul, Cuba et ailleurs. Une seule obsession anime ce patron de presse visuel : être le premier. « J'ai été le premier à porter les cheveux longs en Turquie, à douze-treize ans. » Ou alors : « Le premier grand reporter free-lance du pays. »
Göksin Sipahioglu a surtout collectionné les scoops, les siens et ceux de ses photographes, qui font la « une » des journaux et sont auréolés de médailles et trophées, entassés dans son bureau. Il est aussi le dernier journaliste à diriger une des trois agences en « A » qui ont fait de Paris la capitale mondiale du photojournalisme dans les années 70 : Gamma, Sygma, Sipa. Ses rivaux de toujours, Jean Monteux à Gamma et Hubert Henrotte à Sygma, ne sont plus là, remplacés par des gestionnaires. Lui perpétue une épopée romantique et familiale, quand l'époque est dominée par les stratégies industrielles, les géants de la communication - Bill Gates avec son agence Corbis, qui vient de racheter Sygma -, afin de transformer le monde en village illustré.
Göksin Sipahioglu est le dernier aventurier des agences photographiques. « Un banquier voudra gérer une agence. Moi, je vis dedans, je ne pense qu'à ça. J'arrive à 6 heures, je repars à 21 heures. Sept jours sur sept. »
C'est un drôle de patron, passionné, très sympathique, un peu « voyou », qui se fait appeler Göksin et tutoyer par une partie du personnel, où l'on comptabilise une vingtaine de nationalités et « toutes les religions ». Il ne prend pas de vacances - « c'est mortel » - et avoue deux luxes: son bureau - plus grand que les 80 m2 de son appartement - et sa voiture, une Mercedes 500 limousine qui lui a coûté 600 000 francs.
Ce Byzantin roublard et beau parleur déteste être seul, se réveille et s'endort avec la télévision - il en a quatre dans son bureau -, laisse souvent la porte ouverte et dit que « les gens qui travaillent avec [lui] sont un peu [ses] enfants. » D'où une ambiance un peu paternaliste, avec chouchous et têtes de Turc.
Le patron couve, et parfois étouffe, ses photographes. « Il est si proche de nous qu'il devient aussi possessif avec nos images qu'avec les siennes », dit la photographe Alexandra Boulat. Il parle du premier portrait du terroriste Carlos, d'un attentat à Beyrouth ou de photos de femmes bosniaques violées par des Serbes comme s'il y était. Mais il déteste la contradiction et les syndicats, n'a pas de second, aime être entouré de femmes, dont sa secrétaire, surnommée Bambi.
Jean-François Leroy, directeur du Festival de photojournalisme de Perpignan, dit qu'il est « le plus journaliste de tous les directeurs d'agence ». Le plus accessible aussi, toujours à l'affût d'un « coup ». Directeur et rédacteur en chef à la fois.
Son bureau est envahi de journaux de tous les pays, qu'il dévore, découpe. « Je trouve des histoires que les photographes pourront raconter en images. » Jamais à court d'idées, obsédé par la rapidité, « débrouillard », dit un photographe. Il est le dinosaure de la profession. Combien de temps va-t-il tenir? « Des repreneurs viennent me voir. J'ai encore un peu de temps. » Un photographe : « Jamais il ne vendra son plaisir. S'il va pêcher à la ligne, il en crèvera. »
Avec un délicieux accent oriental et en mangeant quelques mots, Göksin Sipahioglu raconte ses multiples vies qui ont croisé le sport, le journalisme écrit, la politique, la photographie. A Istanbul, puis à Paris.
Il est né à Izmir, le 28 décembre 1926. Son père était le commandant de la garde rapprochée de Mustafa Kemal Atatürk, qui modernisa son pays dans les années 20-30. Sipahioglu signifie « fils de spahi ». « Celui qui fait la guerre à cheval », explique Göksin, qui se souvient d'une jeunesse dorée. Etudes chez les jésuites. Sa vocation de journaliste se dessine vite: « A dix ans, j'écrivais des petites histoires et, à douze, j'ai enquêté sur les souterrains d'Istanbul. »
Il joue aussi au basket. Normal quand on mesure 1,90 m pour 62 kilos. « On me surnommait la cigogne. » A dix-sept ans, il brûle les étapes: il fonde le club Kadikeyspor à Istanbul, devient capitaine et joueur international, fait construire le plus grand terrain en plein air du pays « en empruntant 5 francs à gauche et à droite », se marie, fait son service militaire, poursuit des études de droit et de journalisme. Son premier article, en 1948, a pour sujet la tuberculose. « Ma petite amie en était atteinte. »
Il écrit, à partir de 1952, sur le basket dans l'Istanbul Ekspres. Il lui arrive même de commenter son match sous le pseudonyme de Sait Ceylan : « J'ai écrit que le club avait perdu parce que Göksin avait mal joué. » C'est ainsi que commence une brillante carrière, brièvement interrompue par sa candidature aux élections législatives, en 1957: « J'ai été balayé. »
Il assure: « J'étais le grand journaliste en Turquie. » Preuves à l'appui. Göksin Sipahioglu adore énumérer ses scoops - textes et photos, ce qui est rare - comme un militaire ses états de service :
- Un : en 1956, durant la campagne militaire israélienne dans le Sinaï, il « dialogue avec des pilotes d'avion français » et photographie « des blessés égyptiens agonisants » ;
- Deux : en 1958, il est « le premier journaliste turc à entrer en pays communiste après la guerre ». Hongrie, Pologne, Tchécoslovaquie ;
- Trois : en 1961, il est « le premier journaliste occidental » à photographier l'Albanie de l'après-guerre ;
- Quatre : en 1962, il est « le seul journaliste » à entrer à Cuba durant la crise des missiles. Alors que le blocus de l'île est mis en place, il apprend qu'un cargo turc doit acheminer du blé à La Havane via la Barbade. Il déniche un passeport de marin, part avec 200 dollars en poche, et débarque à Cuba avec un appareil Hasselblad qu'il sait à peine faire marcher. « Je suis resté trente-huit jours à Cuba ! » Il écrira que les missiles russes, pointés contre les Etats-Unis, n'avaient pas tous été retirés. « Je les avais vus. » Comment ? « J'avais deux ou trois petites amies à La Havane… Elles m'ont aidé. » ;
- Cinq : il est, en 1965, le premier journaliste turc à entrer en Chine ;
- Six : en 1968, à Prague, il est le « premier journaliste occidental à interviewer des soldats russes ». Il montre le cliché : cinq gaillards souriants. « Ce sont des Russes azéris qui parlent le turc. » Il sort un autre cliché : Dubcek quitte Prague pour devenir ambassadeur en Turquie. Devinez quel est le seul journaliste à l'accompagner…
Entre deux scoops, Göksin Sipahioglu a également dirigé des journaux. Suffisamment longtemps pour utiliser au mieux l'impact journalistique et graphique des images. Il est le premier, en Turquie, à étaler une photo sur une double page. Il sort une dizaine de reproductions de couvertures de quotidiens après un coup d'Etat. Tous les journaux utilisent deux images, plus ou moins grandes, de l'interrogatoire du président déchu et du premier ministre en train de se faire raser après son arrestation. « Et regardez ce que fait Göksin… » Il montre la « une » de Vatan. Un détail occcupe toute la page: le rasoir et la gorge du premier ministre - il sera exécuté peu après. « On a tout vendu en une heure. »
Göksin Sipahioglu savait prendre des photos et les mettre en page. Et les vendre ? Ses expériences en la matière étaient calamiteuses. Il a déjà collaboré à plusieurs agences, mais n'a pas, à la fin des années 60, la diffusion mondiale qu'il espère. Ni les retombées financières. A Cuba, « quarante-cinq journaux américains ont fait la « une » avec mon histoire ». Il a vendu son récit et ses images à l'agence Associated Press. « Ils m'ont proposé 500 « boks ». J'ai compris 50.000 dollars. C'était 500. Je n'avais plus un rond, j'ai dû accepter. »
Créer une agence photo sera sa revanche. Il le fera à Paris, capitale montante du photojournalisme et ville où il entreprend une seconde vie en devenant, en 1966, le correspondant d'Hürriyet, principal quotidien turc. Il sort d'un mai 68 éprouvant - blessé par une grenade - qu'il a photographié au jour le jour. « Je le déposais avec ma Mustang en première ligne », raconte Phyllis Springer, journaliste américaine et compagne fidèle du patron de Sipa, où elle travaille.
Ensemble, ils créent une structure informelle en 1969. Peut-on parler d'agence ? Göksin développe ses films et tire ses photos dans les WC d'un studio de 16m2 loué à Fernand Raynaud. Göksin et Phyllis « font » alors les aéroports pour envoyer les clichés dans le monde entier - notamment ceux de Jean Bertolino, et des personnalités du show-biz. « Phyllis a une fois arrêté un avion sur la piste pour donner un film à transporter. »
Aujourd'hui, Göksin Sipahioglu dirige un joujou performant, officiellement créé en 1973 : un immeuble de 8.000m2 situé boulevard Murat avec une entrée high tech ornée de seize télévisions - 152 salariés, 32 photographes exclusifs, 7.000 correspondants occasionnels dans le monde dont 2.000 « actifs », jusqu'à 50 reportages diffusés quotidiennement dans 47 pays, 20 millions de photos en archives dont 300.000 numérisées, un chiffre d'affaires de 118-120 millions de francs en 1999, près de 8 millions de francs de bénéfices depuis deux ans quand ses concurrents tirent la langue.
Il n'empêche, le patron a une réputation tenace de « bon journaliste et mauvais gestionnaire ». Beaucoup ajoutent : « C'est mieux que le contraire. » Et de rappeler en rigolant l'époque où « Göksin prenait l'argent de la machine à café pour payer un photographe ».
Sipa a été, en trente ans, une formidable école de journalisme. « Le talent de Göksin est de repérer celui des autres », dit le photographe Patrick Frilet, qui enseigne le reportage photo au CFD-l'Ecole des métiers de l'information. Celui d'Abbas, par exemple, un photographe dont il diffuse les images de la guerre du Vietnam en 1971, ou de Luc Delahaye, qui a suivi les bouleversements dans l'Europe de l'Est - tous deux aujourd'hui à l'agence Magnum. Mais aussi celui d'une vingtaine de reporters à la forte personnalité, de Yan Morvan à Michel Setboun. Ou de futurs directeurs d'agence, comme Annie Boulat (Cosmos).
La plupart de ceux qui ont quitté l'agence - certains y sont revenus - parlent de Göksin comme d'un « seigneur généreux et fidèle ». Yan Morvan: « Il me fait penser au Commendatore Enzo Ferrari avec ses pilotes. Il mettait plusieurs photographes sur le même « coup » pour obtenir les meilleures images. » Luc Delahaye : « Il a du panache et a toujours privilégié le journalisme sur la photographie. »

Göksin Sipahioglu n'était pas un grand photographe, mais il était « toujours là où il faut être » avec des images où l'information l'emporte sur la composition. Comme dans cet instantané violent pris à Djibouti, en 1967, où quatre militaires français le visent avec leur arme.
Tout naturellement, l'agence Sipa tient sa réputation de son secteur « news ». « Dans un paysage d'agences tièdes, Göksin est le seul à prendre des risques financiers et à produire des sujets sur l'actualité internationale », dit Jean-François Leroy. Il y a encore peu, les meilleures photos du Kosovo ont été ramenées par Alexandra Boulat. « Sipa reste la dernière agence qui donne vraiment sa chance aux jeunes », affirme Patrick Frilet. L'intéressé confirme : « Je reçois dix lettres par jour. Je viens d'engager une belle fille qui est encore dans une école photo pour avoir son BTS. »
Evoquant la mort annoncée du photojournalisme, il embrasse du regard l'objet de sa réussite. Il est vrai que sa conception de la photo de presse est pragmatique. Une bonne photo est une photo publiée. Si possible en couverture. Qu'elle soit prise, « volée » ou « récupérée ». Il rappelle une de ses convictions, qui choque certains : « Le paparazzi est le fondement du métier, un vrai travail d'enquête. A condition de ne pas entrer dans les propriétés privées. »
Un photographe ajoute que « Göksin est prêt à tout pour décrocher un scoop ». Et qu'il a « un sens inouï du marché de la presse ». Une légende veut qu'il ait placé un photographe derrière toutes les grandes synagogues d'Europe durant une période d'attentats. L'intéressé n'est pas en reste quand il raconte son « coup » à Entebbe (Ouganda), en 1976, où les passagers d'un Airbus étaient tenus en otages : « En Ouganda, j'ai été refoulé vers le Kenya. En rentrant de Nairobi vers Paris, j'ai demandé au pilote d'Air France, alors que nous survolions l'Ouganda, de modifier sa trajectoire pour passer au dessus de l'aéroport d'Entebbe, donc au dessus de l'Airbus au sol. J'ai donc pu le photographier par le hublot. »
Reste que le secteur people (portraits de personnalités, princesses), qui a grimpé à 40% du chiffre d'affaires, devient de plus en plus indispensable pour rentabiliser l'agence : « Sans le people, et un réseau de correspondants bon marché, Sipa ne tient plus », s'inquiète un photographe.
Göksin le reconnaît à demi-mot: « Le Kosovo m'excite ; Diana, je me sens obligé de le faire. » Il ajoute : « Les gens veulent plus de rêve et moins de sang. » Pour que l'actualité internationale, aux coûts exorbitants, soit « couverte », il a salarié des photographes. Il sait qu'il rame à contre-courant. Mais il tient. Lors de la finale de la Coupe du monde de football, il a même repris ses appareils en tribune de presse. « J'ai voilé mes films », rigole-t-il. Comme s'il lui fallait, une fois de plus, se distinguer de la vague.
Michel Guerrin 
Le Monde daté du 20 novembre 1998

Biographie de Göksin Sipahioglu
Göksin Sipahioglu commence sa carrière à l'Istanbul Express en 1952 au service des sports. Il en devient rapidement le rédacteur en chef. Il découvre le photojournalisme lors de son premier reportage à l'étranger. Son cliché de soldats égyptiens blessés lors de la guerre de Sinaï en 1956 fait vite le tour du monde. 
Il devient photoreporter pour le quotidien 'Hürriyet' et va là où les autres n'osent pas aller : Albanie, Irak, mai 68 à Paris, Cuba lors de la crise des missiles. En 1969, il s'installe définitivement en France. En 1973, Il fonde l'agence Sipa (raccourci de son nom), l'une des plus grandes agences de photojournalisme en France. Il ne démissionne que trente ans plus tard, en 2003. En 2010, une exposition lui est consacrée à l'Institut français d'Istanbul. Il s'éteint un an plus tard, le 05 octobre 2011, toujours auréolé de son statut de figure du photojournalisme.


Nom de naissance
Gökşin Sipahioğlu
Naissance
28 décembre 1926
İzmir, Turquie
Décès
5 octobre 2011 (à 84 ans)
Paris
Profession
Journaliste
photographe
directeur d’agence de presse
grand reporter
Distinctions
Chevalier de la Légion d'honneur
Gökşin Sipahioğlu est un photographe, directeur d'agence de presse et grand reporter turc, né à İzmir le 28 décembre 1926 et mort à Paris le 5 octobre 20111. Il est célèbre pour avoir fondé en 1973, l'agence Sipa Press.

      
Biographie
Une jeunesse sportive
Né à İzmir, en Turquie, le 28 décembre 1926 Gökşin Sipahioğlu étudie au lycée Saint-Joseph d'Istanbul. Après une jeunesse dorée et des études de journalisme, le jeune homme de 1,90 m se lance dans le basket-ball. À 17 ans il fonde son propre club, le Kadiköyspor à Istanbul, qui deviendra l'Efes Pilsen İstanbul2, devient capitaine et joueur international.
Les premiers reportages photographiques
Gökşin Sipahioğlu s'essaie aussi à la politique, mais essuie un échec aux législatives turques. À partir de là, son choix est fait : il se consacre au journalisme. Il entre comme correspondant au grand quotidien turc Hürriyet.
En 1961, il profite d'un match de foot pour s'infiltrer dans l'Albanie communiste, faisant de lui le premier journaliste occidental à y pénétrer. En 1962, il entre clandestinement à Cuba pendant la Crise des missiles, déguisé en marin dans un bateau turc qui livre du blé à la Havane. Sur place, il parvient à photographier des missiles russes pointés vers les États-Unis
Gökşin Sipahioğlu arrive à Paris en 1966, comme correspondant d'Hürriyet. En couvrant Mai 68, il reçoit une grenade au visage et perd trois dents
En 1968, toujours officiellement basé à Paris, il saute dans sa Mustang décapotable rouge lorsqu'il entend les premières nouvelles de la répression du Printemps de Prague. Sur la route de nuit, il percute un char soviétique dont un phare est cassé. Il sympathise avec les soldats soviétiques qui sont Azéris et parlent turc. Les soldats acceptent de remorquer sa décapotable écrasée, et Göksin Sipahioğlu peut alors couvrir l'entrée des chars dans Prague de la tourelle du tank.
La fondation de Sipa
En 1969, Gökşin Sipahioğlu crée sa propre agence dans un studio de 16 m² loué sur les Champs-Élysées. Les films sont développés dans les toilettes. Sipa, abréviation de son propre nom de famille, naît officiellement en 1973, à Paris. L'agence s'installe rue du Berry, où le bricolage continue : quand l'électricité est coupée, le patron fait tirer des rallonges pour brancher les machines dans le couloir. Une anecdote, véridique ou non, résume le management selon Gökşin : un jour, en mal de cash, il aurait pris l'argent de la machine à café pour payer un photographe.


Le photographe iranien Reza, découvert par Gökşin Sipahioğlu, a couvert la Révolution iranienne en 1979 pour Sipa Press.
Paternaliste, Gökşin Sipahioğlu tutoie tout le monde à l'agence Sipa, et tous ses employés l'appellent par son prénom. Il donne sa chance aux jeunes photographes, même quant il s'agit du plombier de l'agence, Eric Hadj, apportant un reportage sur les banlieues. Il a découvert de nombreux photographes talentueux : Abbas, Alexandra Boulat, Patrick Chauvel, Luc Delahaye, Reza, Albert Facelly, Peter Howe, Olivier Jobard, Alain Mingan, Yan Morvan, Françoise de Mulder, Patrick Robert, Lucas Schifres, Michel Setboun, Christine Spengler, Alfred Yaghobzadeh. Néanmoins ses méthodes de gestion étouffantes et ses colères homériques sont la cause du départ de nombreaux photographes au fil des ans.
L'âge d'or
Gökşin Sipahioğlu est un homme de scoops et de coups : de 1975 à 2000, les photos de Sipa Press font souvent la une de Paris Match, de VSD, et du Figaro Magazine, profitant de la concurrence entre les magazines pour faire monter les prix. Les affaires sont florissantes. Avec son flair, Gökşin Sipahioğlu collectionne les scoops. Lors de l'invasion de Chypre en 1974, il distribue 150 appareils photo jetables aux soldats de l'armée turque pour récupérer des images exclusives.
Durant ces temps héroïques du photojournalisme Sipa Press est une des trois premières agences photo du monde, envoyant des reporters sur tout le globe. En 1989 l'agence s’installe dans d'imposants bureaux de 8 000 m² boulevard Murat dans le XVIe arrondissement.
Le déclin et la vente de Sipa
Dans les années 2000, la montée des agences filaires AFP, Reuters, AP qui ne se contentent plus de fournir les quotidiens suivant le pacte implicite en cours jusque là (aux filiaires les quotidiens, aux agences magazines comme Sipa les magazines), la crise de la presse, le virage numérique nécessaire mais trop coûteux, font vaciller les agences photo, mais Göksin s'adapte, donnant une place plus importantes aux lucratives photos people, signant des contrats avec les émissions de télé-réalité.
Gökşin Sipahioğlu refuse pendant des années de vendre Sipa Press malgré des offres mirifiques de Corbis (22 millions de dollars) et Getty (14 millions de dollars). Il doit finalement s'y résoudre en 2001, et cède l'agence, déficitaire, à Sud Communication, propriété de Pierre Fabre. Il reste président de Sipa Press jusqu'en 2003. Sud communication revend Sipa Press en 2011 à l’agence allemande DAPD, qui a licencié les deux tiers des photographes et a annoncé sa volonté de transformer Sipa en agence généraliste
Décès
Gökşin Sipahioğlu s'éteint à l'âge de 84 ans le 5 octobre 2011 à l'Hôpital américain de Paris.









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