SEBASTIAO SALGADO

Brésil, 2005. © Sebastião Salgado
Sebastiao Salgado : Genesis 
 
La maison Européenne de la Photographie
   
5/7 Rue de Fourcy - 75004 Par
Du 26 septembre 2013 au 5 janvier 2014

 LE CLUB RECOMMANDE
 : à voir absoluement


Huit ans de travail, trente voyages, deux cent quarante-cinq images... Le photographe Sebastiao Salgado rend un hommage, en noir et blanc, à la beauté de la planète. Développé depuis 2004, ce gigantesque projet nommé Genesis montre, à travers plusieurs séries d'images, la richesse et la diversité des peuples qui vivent encore selon un mode de vie traditionnel, au cœur de la faune et de la flore. Un tour du monde des paysages au gré des splendeurs de la nature. On y revient.

Bénédicte Philippe


Sebastião Salgado est né le 8 février 1944 à Aimorés, état du Minas Gerais, Brésil. Il vit à Paris. Economiste de formation, il commence sa carrière de photographe à Paris en 1973, il travaille successivement avec les agences Sygma, Gamma et Magnum Photos jusqu’en 1994, lorsque ensemble avec Lélia Wanick Salgado ils fondèrent l’agence de presse Amazonas images, exclusivement vouée à son travail photographique.



Genesis est la grande exposition de Sebastião Salgado, un hommage photographique sans précédent à notre planète. Les 245 photographies exposées, au terme de huit ans de travail et d’une trentaine de voyages à travers le monde, sont présentées selon un parcours en cinq chapitres géographiques ("Aux confins du Sud", "Sanctuaires naturels", "Afrique", "Terres du Nord", "Amazonie et Pantanal"), qui sont autant de régions du monde explorées par Sebastião Salgago pour nous révéler la nature de notre planète dans toute sa splendeur.

Il voyage dans plus de 100 pays pour ses projets photographiques qui, au-delà de nombreuses publications dans la presse, furent ensuite pour la plupart présentés dans les livres tels que Autres Amériques (1986), Sahel, l’homme en détresse (1986), La main de l’homme (1993), Terra (1997), Exodes et Les enfants de l’exode (2000) et Africa (2007). Des expositions itinérantes de ces travaux ont été et continuent d’être présentées à travers le monde.

Sebastião Salgado a reçu de nombreux prix, il est Ambassadeur de Bonne Volonté pour l’UNICEF, et membre honoraire de The Academy of Arts and Science aux Etats-Unis.


« Genesis est la quête du monde des origines, celui qui a évolué pendant des millénaires avant d’être confronté au rythme de la vie actuelle, avant d’oublier ce qui fait de nous des êtres humains. Cette exposition nous présente des paysages, des animaux et des peuples qui ont su échapper au monde contemporain. Elle met à l’honneur ces régions vastes et lointaines où, intacte et silencieuse, la nature règne encore dans toute sa majesté.

On peut s’abreuver à la splendeur des régions polaires, des forêts tropicales, des savanes, des déserts torrides, des montagnes dominées par des glaciers et des îles solitaires. Si certains climats sont trop froids ou arides pour la plupart des formes de vie, on trouvera dans d’autres régions des animaux et des peuples qui ne pourraient survivre sans cet isolement. Ils forment ensemble une incroyable mosaïque où la nature peut s’exprimer dans toute sa grandeur.

Les photographies de Genesis aspirent à révéler cette beauté.

L’exposition constitue un hommage à la fragilité d’une planète que nous avons tous le devoir de protéger. »

Lélia Wanick Salgado


Afrique. En Zambie, pourchassés par les braconniers, les éléphants (Loxodonta africana) ont peur des humains et des véhicules. Dès qu’ils voient une voiture approcher, ils fuient pour se cacher dans le bush. Parc national de Kafue, Zambie, 2010. © Sebastião Salgado

Terres du nord vue du confluent du colorado et du Petit colorado prise depuis le territoire Navajo. Le parc national du grand canyon débute juste après. Arizona, Etats-Unis, 2010. © Sebastião Salgado

Amazonie et Pantanal Dans la région du haut-Xingu, un groupe d’Indiens waura pêche dans le lac de Piyulaga près de leur village. Le bassin du haut-Xingu abrite une population très diversifiée. Etat du mato grosso, Brésil, 2005. © Sebastião Salgado

 Brésil, 2009. Les Zoé ne portent que des parures. Ils utilisent les fruits rouges de l'urucum, petit arbuste tropical, pour se peindre le corps. © Sebastiao Salgado/Amazonas Images

  Du 25.09.2013 au 05.01.2014  
Maison Européenne de la Photographie
5/7 Rue de Fourcy - 75004 Paris
   En métro
Horaires

Ouvert au public du mercredi au dimanche, de 11h à 19h45.

Fermé lundi, mardi, jours fériés, et périodes d’inter-expositions.

    Ligne 1 | Saint Paul
    Ligne 7 | Point Marie
    Ligne 11 | Hotel de Ville
    En vélib

    Station n°4010 | 105-109 Terre plein Saint Paul
    Station n°4011 | 18 rue de l'Hôtel de Ville
    Station n°4012 | 2 rue Tiron
    Station n°4015 | 25 rue du Pont Louis-Philippe
    En bus

    Rue de Jouy | Bus n° 69 - 79 - 96 - Bb - N11 - N16
    Rue Vieille du temple Mairie du 4e | Bus n° 96
    Saint Paul | Bus n° 69 - 76 - 96 - Bb - N11 - N16
    En voiture

    Parc Baudoyer | Parc Pont Marie | Parc Lobau.
    Un stationnement est réservé aux visiteurs
    handicapés moteur devant le 2 rue de Jouy.
 Tarifs
Entrée
Plein tarif : 8 € Tarif réduit : 4.5 €
Abonnement annuel
Carte Solo Plein Tarif : 30 € Tarif réduit : 24 € Carte Duo : 48 €
Tarif réduit

Moins de 26 ans, plus de 60 ans, famille nombreuse, étudiant, enseignant, demandeur d'emploi, bénéficiaire du RSA, Maison des artistes, abonné des lieux partenaires.
Gratuité

Moins de 8 ans (individuel), personne handicapée, accompagnateur de groupe, personnel de la Ville de Paris, carte presse.

Tout public, tous les mercredi de 17h à 20h.


À découvrir aussi

Deux expositions sont à découvrir, en parallèle à l’exposition de la MEP:
Sebastião Salgado, un regard engagé, du 5 octobre au 1er décembre 2013, à la Vieille Église Saint-Vincent de Mérignac.
Sebastião Salgado, Genesis, du 9 novembre 2013 au 18 janvier 2014 à la Galerie Polka, Paris.



à travers la presse

lire article dans télérama n 3324 du 28sep au 4 oct  

 Paris Match Europe1

Sebastiao Salgado: au commencement était la terre

Le 22 avril 2013 | Mise à jour le 22 avril 2013
Karen Isère

Pendant huit ans, il a sillonné le monde à la recherche des derniers sites préservés. Aujourd’hui, son aventure est un livre magnifique et une grande exposition itinérante

Accroché au harnais, l’œil collé au ­viseur, Sebastião Salgado se penche par la porte ouverte du petit avion. Le 28 décembre 2012, il survole son ­domaine au Brésil. Mais, à 400 mètres d’altitude, le moteur se tait brusquement, l’appareil plonge... « Il n’y avait plus que le mugissement de l’air et une folle question : comment sera la mort ? » Pas de prière, il est athée. Mais les dieux de la planète ont peut-être voulu protéger celui qui en a si bien chanté la beauté. L’avion frôle une butte et s’enfonce dans une clôture. La carlingue est détruite. Le photographe et le pilote s’extraient, légèrement blessés, mira­culés. Mais, durant quelques nuits, ­Salgado sera hanté par ces instants, où la violence du vent promettait l’anéantissement. « Genesis », son périple de huit ans, se termine face à la mort, comme il avait commencé...

Pour comprendre cette ultime aventure, il faut remonter le temps jusqu’à une rencontre déterminante, il y a cinq décennies, à l’Alliance française de Vitoria, sur la côte brésilienne. Lélia, ravissante brune de 17 ans, étudie le piano et le français. Son regard croise des yeux bleus pétillants : Sebastião, 20 ans, étudiant en économie. « Il était si intelligent », dit-elle aujourd’hui. « Elle était si farouche, si vive », dit-il. Ils sortent ensemble deux jours après, ne se quitteront plus jamais. Menacés par la dictature au Brésil, les amoureux fuient à Paris. Il est économiste à l’Institut international du café. Elle a besoin d’un appareil photo pour ses études d’architecture. « On a acheté un Pentax, dit Sebastião. On déchiffrait péniblement le mode d’emploi. Et puis j’ai pris un cliché de Lélia. La première photo de ma vie. Dans l’objectif, j’ai senti le monde venir à ma rencontre d’une façon neuve, palpitante. » Il décide d’abandonner une carrière prometteuse et de se lancer dans la photo, à presque 30 ans.
Prodigieusement doué, il aurait pu mettre son talent au service des stars. C'est vers les oubliés qu'il se porte

Au début, il se fait gentiment charrier par les jeunes reporters : drôle de « vieux », qui sait à peine se servir d’un flash ! Il leur parle du peintre Géricault, s’extasie devant « Le radeau de la ­Méduse », ces naufragés sculptés par une lumière lyrique. Un artiste est né. A l’heure de la couleur, il se consacre au noir et blanc, qui souligne l’intensité de la présence humaine. Prodigieusement doué, il aurait pu mettre son sens de la composition et de la texture au service des stars ou de la haute couture. C’est vers les oubliés qu’il se porte. Dans une société qui zoome et zappe de plus en plus vite, Salgado suit des mois, voire des années, un même fil. Ses photos de famine au Sahel sont plus que saisissantes : elles créent du sens, ­révèlent, visage après visage, l’ampleur de la tragédie...

Le photographe se fait humaniste, délaisse l’actualité brûlante pour arpenter le monde entier, questionnant les grands bouleversements : la disparition du travail manuel (série « La main de l’homme »), les populations déplacées de la planète (« Exodes »). Il montre la ­pénombre dantesque d’une mine d’or, la dignité d’un drapé féminin sur un chemin de larmes... Misérabiliste ? Non. C’est bien le paradoxe. Issu d’un pays du « tiers-monde », comme on dit alors, Salgado se sent de plain-pied avec les damnés de la terre, bouleversé par leur malheur mais ébloui par leur dignité. A ses yeux, ce ne sont pas de lointains étrangers, croisés le temps d’un clic, pas de simples « sujets photo », mais des sujets tout simplement, uniques au monde, chacun. Il ne se contente pas d’illustrer mais crée un puissant témoignage, un requiem à l’humanité souffrante, une œuvre, qui alerte les consciences sur les grands enjeux et dangers du XXe siècle. Et le siècle écoute : Paris, New York, Tokyo, Rio... les foules se pressent à ses expositions, les dirigeants lèvent les yeux de leurs dossiers, l’Unicef en fait un ambassadeur.

On imagine un héros... Mais c’est un homme au contact tout simple et chaleureux, qui aime les bons petits plats et arrête tout pour le Mondial de foot. C’est aussi un père qui traverse ses propres épreuves. Rodrigo, son fils cadet, est atteint de trisomie 21. « Personne n’est préparé à cela, dit Salgado. Au début, c’est très dur. Mais il est bouleversant de gentillesse, il m’a emmené dans une autre dimension humaine. » Encore un monde à explorer, personnel celui-là. La douleur se fait don, lumière. « Mais à la fin des années 1990, dit-il, au terme du projet “Exodes”, mon âme a plongé dans la noirceur de ce que j’avais vu, surtout au Rwanda. Je perdais espoir dans l’humanité. Mon médecin m’a dit : “Sebastião, arrête de côtoyer la mort, sinon c’est toi qui vas y passer.” »
Lélia Salgadao: «J'ai fermé les yeux, j'ai vu du vert et j'ai dit: “Si on recréait la forêt?”»

Il est en pleine dépression quand ses parents lui lèguent une ferme dans l’Etat de Minas Gerais, où il a grandi. « Gamin, je cheminais quarante jours à cheval avec les hommes pour mener les bœufs à l’abattoir. On partait à l’aube dans les hautes herbes, après un plat de viande et de haricots noirs, c’était magique. » Mais quand, adultes, son épouse et lui reviennent au domaine, ils sont épouvantés : « Les forêts avaient quasiment disparu, dévastées par l’agri­culture intensive. Et puis Lélia a eu une idée magnifique… » Elle sourit. « J’ai fermé les yeux, j’ai vu du vert et j’ai dit : “Si on recréait la forêt ?” » Il faut planter 2,5 millions d’arbres. Mais ces deux-là n’aiment rien tant que les défis. Ce sera l’Instituto Terra, une fondation ­dédiée à l’écologie. « Tout est revenu : les papillons, les oiseaux, s’enthousiasme le photographe. Je me suis senti renaître et on a imaginé le projet “Genesis” : composer une ode à la nature intacte… » Non qu’il s’agisse de fuir les hommes et leurs enjeux, tout au contraire. C’est l’humanité que menacent les ravages de l’environnement : « Comment vivrons-nous si nous n’avons plus d’air ni d’eau ? » Sebastião fera les images, Lélia les livres et les expos. « Mes parents sont si complices », observe tendrement leur fils aîné, ­Juliano, 38 ans, qui prépare un film sur son père avec le cinéaste Wim Wenders.

Sebastião a 60 ans quand il se lance dans « Genesis ». Pour photographier les paysages, il lui faut un nouvel appareil, un moyen format. Il doit presque tout réapprendre. Quand il annonce qu’il part photographier la nature, ses agents s’alarment : « Tu n’as jamais fait ça, tu prends un risque énorme. » Lui se ­demande en effet comment photographier les animaux, ces inconnus. Première étape, les îles Galapagos : « Je m’approche d’une vénérable tortue, elle s’enfuit. Je me mets à genoux, elle reste à distance. Je me mets à quatre pattes, elle s’avance. On finit par se retrouver nez à nez, aussi étonnés l’un que l’autre. J’ai compris que, comme pour les êtres humains, il fallait la respecter, lui ­demander la permission d’entrer dans son cercle. Idem avec un arbre : assujetti au vent, à la neige, il ne peut pas s’en aller. A moi de venir à lui avec douceur. » A ces êtres sans voix, il veut prêter son langage, ou plutôt ses images, « en noir et blanc, parce que c’est tout ce que je sais faire », dit-il simplement.
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Zambie, 2010. Depuis qu'ils sont chassés par les braconniers, les éléphants ont peur des humains et des véhicules. (Photo: Sebastiao Salgado/Amazonas Images)

Les trente-deux destinations qu’il a choisies sont intactes parce que peu accessibles. A pied, en pirogue, en ­navire, Salgado passe du blizzard au cagnard, du sable sec aux jungles moites. Il accroche son hamac parmi les Indiens d’Amazonie, dort sous des tentes par – 30 °C. Au cœur des montagnes éthiopiennes, les gamins s’enfuient en hurlant : « C’est le diable ! » Ils n’ont ­jamais vu de peau blanche. Chez les Bushmen du Botswana, une femme lui tend des fourmis écrasées dans une feuille. « Un goût proche du citron », note l’explorateur. Les Nenets, eux, ouvrent le ventre d’un renne d’un coup de couteau. Comme ses hôtes, Salgado boit le sang chaud. Entre deux plats « exotiques », il engloutit des céréales pour tenir de longues journées : la lumière n’est jamais plus belle qu’à l’aube ou au crépuscule.
«Pour photographier, j'ai besoin de faire un avec l'environnement, tous mes sens y participent»

Ses images sont bien plus qu’une histoire de regard : « Pour photographier, j’ai besoin de faire un avec l’environnement, tous mes sens y participent. » Sur un volcan, il s’approche de la lave pour en éprouver la brûlure. De chaque voyage, il revient aussi exalté qu’un enfant. « Magnifique, extraordinaire ! » Les superlatifs se bousculent. « Genesis », l’origine… lui-même semble renaître au contact de la beauté. En dépit d’une immense expérience, il est toujours taraudé par le doute, inquiet à l’idée de ne pas trouver « la » photo. « Malgré la fatigue, il rebondit, plein d’énergie, s’il pense qu’une image l’attend plus loin », observe le Français Jacques Barthélemy, guide de montagne, qui l’a accompagné sur la plupart des voyages « Genesis ». « Et quand il a réussi, il chante. » Ce ­passionné de musique emporte toujours un iPod. Il adore Piaf, Brel, et le « Lacrimosa » du requiem de Verdi.

En Namibie, son ballon manque s’écraser dans les dunes. En Indonésie, il attrape le paludisme qui va l’épuiser longtemps. Mais il repart. Pourtant, il ne joue pas les fiers-à-bras. « J’ai longtemps repoussé le voyage dans l’Arctique, dit-il, parce que j’avais trop peur du froid. » Quand il s’y rend, son corps chahuté par la malaria déclare un zona, une affection neurologique qui lui paralyse la moitié du visage. « Son œil pleurait sans cesse, raconte Jacques. Entre deux photos, il était obligé de le fermer avec un doigt. Il m’a épaté par son courage. » Salgado ne se prend pas non plus au sérieux. Lors d’une conférence à l’Unesco, il lance : « Vous qui avez beaucoup de cheveux, votre tête met quelques heures à sécher. Moi [il frotte son crâne dégarni], en deux minutes, c’est fait ! Les forêts sont les cheveux de la terre, elles retiennent l’eau. »

Même simplicité, mardi 9 avril, pour la première mondiale de son exposition « Genesis », à Londres, dans le hall du Museum d’histoire naturelle, un site à la mesure de l’épopée : colonnes néogothiques illuminées de pourpre, immense squelette de diplodocus… L’ex-président Lula est venu du Brésil tout exprès : « Sebastião Salgado est un chasseur de lumière dans un monde de ténèbres. » Guidant Lula des dunes aux baleines et des icebergs aux éléphants, Salgado est, pour une fois, lui-même mitraillé par une nuée de photographes, Un jeune homme silencieux, le regard tendre et rêveur, reste blotti contre lui. C’est Rodrigo, son fils de 33 ans.

De l’eau, des arbres… L’agence Amazonas est au bord du canal Saint-Martin, en face de l’hôtel du Nord. On croirait entendre Arletty dans le film de Carné : « Atmosphère ! Atmosphère ! » C’est dans ce Paris mythique que l’équipe de Salgado travaille. La porte s’ouvre sur un espace de bois brut, serein. Mais, ces jours-ci, son propriétaire s’y sent comme un lion en cage. « Le terrain me manque trop. La photo mobilise tout l’être. Quand je n’en fais pas, je ne suis nulle part. » Ses ailes de géant l’empêchent de se poser. « Les photographes recommencent toujours », dit-il. Le nom complet de Sebastião est Ribeiro ­Salgado, « rivière salée » en portugais. Le sel de la terre, et l’eau qui s’en va

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Quand Sebastião Salgado nous parle de ses photos
Publié le 05-09-2013 à 16h28 - Mis à jour à 16h28
Marie Guichoux
Par Marie Guichoux
Le photographe franco-brésilien commente pour le "Nouvel Observateur" trois des images de "Genesis", sa dernière oeuvre, véritable hymne à la nature.
Mots-clés : PHOTO, Genesis, Sebastião Salgado, Salgado, Maison européenne de la photographie, MEP, Philippe Bachelier, Amazonas
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Depuis le printemps dernier, neuf expositions de "Genesis", le dernier travail d’Hercule du photographe franco-brésilien Sebastião Salgado, tournent de par le monde. L’une d’elle se pose à la Maison européenne de la photographie, le 25 septembre prochain, pour trois mois. Pendant huit ans, Salgado s’en est allé à la recherche des paradis originels. "Genesis" est un hymne à la nature, un appel à la réconciliation entre les hommes et leur planète.

En février prochain, Sebastião Salgado aura 70 ans. Une date qu’il devrait célébrer avec la sortie d’un film sur son travail, co-réalisé par Wim Wenders et le fils aîné du photographe, Juliano. En attendant, il revient sur sa vie, ses engagements et ses reportages au long cours, dans un livre intimiste, "De ma terre à la Terre", co-écrit avec Isabelle Francq, journaliste à "La vie", qui vient de paraître aux éditions Presses de la Renaissance.

Trois raisons pour l’attraper au vol lors d’un passage à Paris, camp de base de ses expéditions. Et de lui demander de nous raconter le making-of de trois de ses images venues du froid, de la forêt amazonienne et de la touffeur africaine. Comme un conteur, il commence souvent ses phrases par "Ecoute...", "Tu vois...". Il n’a rien perdu de son accent brésilien, lui pourtant installé à Paris depuis longtemps.


L’iceberg de la Mer de Weddell
Iceberg entre l’île Paulet et les îles Shetland du sud dans la mer de Weddell. Péninsule Antarctique, 2005 © Sebastião Salgado
Aux confins du sud les baleines franches australes (Eubalaena australis) attirées par la péninsule valdés et l’abri de ses deux golfes, le golfe San José et le golfe Nuevo, nagent souvent la nageoire caudale dressée hors de l’eau. Péninsule Valdés, Argentine, 2004. © Sebastião Salgado






Sebastião Salgado :
J’étais à bord de Tara, ce voilier taillé pour les expéditions de l’extrême barré par une très grande navigatrice française, Catherine Chabaud. On commençait à sortir de la Mer de Weddell en Antarctique, à l’endroit même où Ernest Shakleton a vu son bateau écrasé par les glaces. Et on a trouvé cet iceberg, plus grand que tout un pâté de maison. C’était une chance inouïe et, qui plus est, de le trouver dans cette position. Parce que si tu regardes bien, tu vois une ligne de flottaison qui fait un angle indiquant qu’il a bougé sur lui-même ; au dessus il y encore une autre ligne de flottaison…  J’ai toujours deux boîtiers autour du cou, dès le réveil. J’ai aussitôt demandé à Catherine Chabaud si elle pouvait en faire le tour. Nous avons contourné deux fois cette masse incroyable, le ciel était très couvert. Et puis au troisième tour, le soleil a montré son nez et a donné tout son relief à l’iceberg…
J’adore rester des heures, à guetter, à cadrer, à travailler à fond la lumière. Je peux attendre très longtemps. Je crois que si on n’aime pas attendre on ne peut pas être photographe. Mais là tout s’est mis en place très vite. Les images de ciels chargés où perce la lumière, je suis né avec. Au Brésil, dans ma vallée du Rio Doce (Etat du Minas Gerais), tout est immense, le soleil tombe à angle droit, crée des lumières dures.  Mon père y avait une grande ferme, du bétail. Quand j’étais enfant, comme j’ai le teint clair,  on me posait sous un arbre ou on me mettait un chapeau. Si bien que je voyais toujours mon père arriver vers moi dans le soleil. Quand j’ai fait mes premières photographies, je ne savais pas que je faisais du contre-jour."

Ce "rosebud" rétinien est devenu la signature de Sebastião Salgado. Comme son noir et blanc, reconnaissable entre tous, qu’il a définitivement adopté en 1987, date de son dernier reportage couleur. Il travaillait alors pour Magnum qu’il quittera sept ans plus tard pour créer avec sa Lelia, sa femme et "son associée en tout dans la vie", leur propre agence Amazonas Images, installée sur la rive du Canal Saint-Martin à Paris. Salgado a réalisé tous ses travaux majeurs jusque-là en 24x36.

"Pour 'Genesis', il avait prévu de réaliser son projet en moyen format, c’est-à-dire avec des films plus grands", explique Philippe Bachelier, grand spécialiste du noir et blanc et des techniques d’impression, son sparing-partner pour développer les films de "Genesis". "Sa préoccupation était pédagogique et son souci, que les éléments puissent être visibles de loin." C’est ainsi que le photographe a rangé soigneusement ses célèbres Leica, marque qui ne faisait alors pas de moyen format pour se tourner vers d’autres boîtiers. Au grand dam de Leica !



Sebastião Salgado :
Au départ, je faisais une séance de portraits. Je voulais que les visages soient détachés de la forêt. Les indiens ont préparé pour moi des feuilles de palmier afin de recréer un studio. Chacun venait poser en prenant soin de s’habiller avant. Dans cette région reculée de l’Etat de Para au Brésil, cela veut dire pour les hommes de se faire un petit nœud sur le prépuce avec une fibre en liane. Sans cela, ils ne se laissent pas photographier. Les femmes, elles, se couvrent, en se teignant le corps avec un fruit rouge. La tribu Zo’e – quand j’y étais elle comptait 278 membres – avait été perdue de vue pendant longtemps et retrouvée en 1982 par des missionnaires d’origine nord-américaine qui voulaient les évangéliser. La Funai (Fondation nationale de l’indien) les a protégés. Les femmes connaissaient déjà leur image par leur reflet dans l’eau. Elles ont toutefois convaincu l’organisation gouvernementale de leur laisser un objet apporté par ces occidentaux : le miroir. Sur cette image, le fond du "studio" est déplacé à l’intérieur de la maison de la femme qui est dans le hamac au premier plan."

A ce moment-là de ses reportages, Sebastião Salgado est passé de l’argentique au numérique. Une révolution pour lui. Travailler avec du film moyen format l’obligeait à se balader avec une valise d’une vingtaine de kilos contenant 500 à 600 films. Ce qu’il a fait durant les quatre premières années de Genesis. Mais il avait toujours peur qu’ils soient endommagés par le passage aux rayons X dans les aéroports.

En 2008, il est passé à la prise de vue numérique grâce, dit-il, à Philippe Bachelier. "Sebastião vend beaucoup de tirages argentiques. Il fallait donc pouvoir faire des tirages à partir de fichiers numériques", explique ce dernier. "J’ai travaillé sur un protocole d’adaptation qui nous ouvre la possibilité de créer des négatifs." Les clichés des expositions sont, eux, réalisés en tirage jet d’encre. Côté boîtier, Salgado a trouvé chaussure à son pied quand est sorti le Pentax 645.


Sebastião Salgado :
Là c’était une très longue attente. Il a fallu faire 25 vols en montgolfière pour avoir un tel troupeau à portée du regard. Dans une telle étendue, c’est comme chercher une aiguille dans une botte de foin. Il faut savoir aussi que le ballon doit voler entre 7 heures et 9 heures du matin, parce qu’ensuite les températures sont telles que la chaleur la ferait monter à des altitudes insensées et sans contrepoids possibles pour y résister, encore moins pour la faire descendre. Ce que je vois, ce que je saisis, c’est la vapeur qui monte des dos des buffles dans leur course, et leurs foulées qui dans ces herbes marécageuses tracent ce dessin très géométrique."

La lumière transperce comme en éventail. Un éclairage biblique. "Un jour qu’on travaillait ensemble", raconte Philippe Bachelier, "je lui dis tu as de la chance à chaque fois le soleil sort des nuages ! Sebastião, qui n’est pas croyant, me répond : 'C’est le ciel du Bon Dieu'. Il est infiniment brésilien, avec un côté baroque et dans ses images un côté sublimé de ce qui est photographié. Il me fait penser à ce peintre majeur espagnol , El Greco." Salgado, lui, souvent confesse un faible pour Géricault. Pour son fils aîné, Juliano, il était dans ses yeux d’enfant, tout simplement "Indiana Jones".

Les fans de la première heure, qui ont aimé ses deux projets monumentaux – "La main de l’homme", hymne au travail, dédié à la disparition des industries manuelles sur les cinq continents de la planète, puis "Exodes" fresque des mouvements de population, véritable ode aux déracinés – seront peut-être déroutés par un projet plus inspiré par Darwin que par Marx. Deux références que Salgado revendique. C’est après la lecture du livre qui rendit Charles Darwin célèbre, "Le voyage de Beagle", qu’il a commencé "Genesis" en passant trois mois aux Galapagos. Du marxisme, il rejette les errements et les crimes mais trouve la dialectique Travail/Capital toujours pertinente. Jeune étudiant, il s’était engagé dans un mouvement prônant la lutte armée contre la dictature militaire brésilienne, avant de se réfugier à 25 ans en France.

Qu’allait donc faire ce vénéré géant de la photographie sociale, humaniste et documentaire parmi les tortues, les buffles et les iguanes ? Allait-il se perdre ou se retrouver en crapahutant de dunes en forêts, de volcans en glaciers?  "J’ai été bien malade après le Rwanda", raconte Salgado. "J’y ai vu lors du génocide des choses terribles, des choses qui m’ont fait croire que mon espèce était la plus violente de toutes. J’ai vu des chutes d’eau déverser des tourbillons de cadavres, des amis tués avec toute leur famille... Ma tête n’allait pas bien et mon corps était attaqué par mes propres staphylocoques." Le goût même de photographier s’enfuyait.

Le temps se charge de lessiver les souvenirs, le corps se refait une santé, mais il lui est resté une envie de "paix". Alors, il est revenu au jardin d’Eden de son enfance. La terre léguée par son père était devenue pauvre et laide à cause de la déforestation. Lui et Lelia, sa femme et son "associée en tout dans la vie", décident de replanter 2 millions d’arbres et de faire revivre l’écosystème. Une utopie aujourd’hui réalisée qui lui a inspiré l’idée de partir à la recherche des jardins d’Eden de la planète. Salgado voit toujours tout en grand, en très grand.

Marie Guichoux - Le Nouvel Observateur

Crédits photo : Sebastião Salgado / Amazonas Images

>  A LIRE. Le portrait de Sebastião Salgado dans le "Nouvel Observateur" du 5 septembre

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