GABRIEL GARCIA MARQUEZ




HOMMAGE


 « Gabo » est mort
 en Amérique latine, il est l'un des auteurs les plus significatifs du XXe siècle.

Le prix Nobel de littérature colombien Gabriel Garcia Marquez

Le plus célèbre des écrivains latino-américains s'est éteint à 87 ans.

Littérature
                                                                               
“Nous, les costeños,

nous sommes les gens

les plus tristes du monde”










Dans les ouvrages de García Márquez, le thème de la solitude est dans ses romans,  Ses récits sont une longue méditation sur la solitude et la mort auxquelles l'homme est inéluctablement confronté

Des romans comme,  Cent ans de solitude (1967), Chronique d'une mort annoncée (1981) et L'Amour aux temps du choléra (1985), lui ont apporté la reconnaissance de la critique littéraire .
  
LU à travers la presse 

LIBERATION

LibérationLivres
La Une du 19 avril 2014


Gabriel García Márquez est mort
Philippe LANÇON 17 avril 2014 à 23:49 (Mis à jour : 18 avril 2014 à 09:13)

   
Le prix Nobel de littérature colombien Gabriel Garcia Marquez à Mexico le 6 mars 2014

DÉCÈS

Le plus célèbre des écrivains latino-américains s'est éteint à 87 ans.

La mort de l’écrivain colombien Gabriel García Márquez, 87 ans, prix Nobel 1982, est celle d’un symbole littéraire et politique, véritable pop star du rêve et du drame latino-américains des années 1960. C’est aussi celle d’un homme devenu l’ami et le fidèle soutien d’un maître abusif des rêves égalitaires et des illusions perdues, le dictateur Fidel Castro. Son plus célèbre roman, Cent ans de solitude, paru en mai 1967, le jour même où sortait le «Sergent Peppers» des Beatles, allait marquer une langue et une époque. Le romancier exportait la vie d’un continent et définissait avec d’autres, ceux qu’on appela les écrivains du «boom» latino-américain, les contours d’un nouvel imaginaire. «Dans les bonnes consciences de l’Europe, et aussi parfois dans les mauvaises, a fait irruption avec plus de force que jamais l’actualité fantasmatique de l’Amérique latine, cette immense patrie d’hommes hallucinés et de femmes entrées dans l’histoire, dont l’obstination infinie se confond avec la légende», disait-il à Stockholm en recevant son prix.
Sur le même sujet

Avant d’être romancier, García Márquez fut un excellent journaliste – d’abord à Barranquilla, puis, en Amérique latine et en Europe, pour l’agence Prensa Latina. L’un de ses plus fameux textes, Récit d’un naufragé, est publié en vingt épisodes dans El Espectador en 1955 : c’est l’histoire d’un marin militaire qui, après être tombé de son navire, survit dix jours en haute mer. Les qualités de García Márquez sont déjà là – des qualités classiques : précision, sens de la narration, attention au détail et oreille pour la langue des autres. Jamais il ne renoncera à un métier qu’il n’a cessé de célébrer, et pour lequel il a créé à Carthagène une Fondation pour un nouveau Journalisme latino-américain, toujours en activité. De même, sa passion du cinéma le poussera à créer, en 1986 à Cuba, l’Ecole internationale de San Antonio de los Banos, qui a formé des générations de scénaristes et de cinéastes latino-américains.
«Pouvoir magique»

Gabriel García Márquez s’est installé au Mexique dans les années 60 , sans argent, avec sa femme Mercedes, lorsqu’il décide de s’enfermer et d’écrire son grand roman. L’histoire de sa gestation est devenue une légende rétrospective que son biographe, Gerald Martin, a fort bien racontée en 2008 : chacun semble attendre le chef-d’œuvre avec autant d’impatience que de certitude. Il est écrit pendant un an sur une vieille Olivetti dans une pièce de trois mètres sur deux, baptisée «la caverne de la mafia». L’auteur dira plus tard, avec cette vaniteuse ingénuité qui le caractérise et que la réalité confirme : «Dès le premier instant, bien avant sa publication, le livre a exercé un pouvoir magique sur tous ceux qui entraient en contact avec lui : amis, secrétaires, etc., même des gens comme le boucher ou le propriétaire attendaient que je le termine pour être payés.» Il doit huit mois de loyers. Le soir, ses amis viennent écouter les feuillets qui sortent du livre et encouragent, en quelque sorte, le meilleur d’entre eux. La dactylo rapporte les manuscrits chez elle et les lit aussi à ses amis après les avoir tapés. Un jour, elle manque être renversée par un bus. Les feuillets s’éparpillent dans la rue comme feuilles dans la bourrasque, titre de la novella de García Márquez où apparaît pour la première fois, en 1955, le nom du village de Macondo. Le manuscrit est achevé un jour vers 11 heures du matin.

García Márquez a entendu parler pour la première fois de Fidel Castro en 1956 à Paris. Journaliste, il arrive à La Havane le 19 janvier 1959, quelques jours après la prise du pouvoir. Ce qu’il y voit et vit explique sans doute largement le fait que jamais il ne reniera le régime castriste : la révolution cubaine représente tout ce dont les peuples latino-américains opprimés semblent rêver : la jeunesse, le partage, l’éducation pour tous, l’absence de compromis avec les forces militaires et capitalistes. Socialiste anti-soviétique, García Márquez ne peut que soutenir avec enthousiasme l’expérience à ses débuts. Il lui faudra cependant 15 ans et bien des gages pour rencontrer celui qui deviendra son ami : Fidel Castro. Il le restera malgré les moments de tension et de répression.

En 1975, l’année de la rencontre avec Castro, il publie l’Automne du patriarche, son second chef-d’œuvre. Pour l’auteur lui-même, l’histoire du dictateur Zacarias est «presque une confession personnelle, un livre totalement autobiographique, quasiment un livre de mémoires. Bien entendu, ce sont des mémoires codés ; mais si à la place d’un dictateur on met un écrivain très célèbre et terriblement gêné par sa gloire, avec cette clé, on peut lire le livre et le comprendre.»

Il y aura encore de bons romans, Chronique d’une mort annoncée, Le Général dans son labyrinthe, L’Amour au temps du choléra. Il y aura le prix Nobel, et le rôle important joué pendant la guerre civile colombienne opposant le pouvoir aux FARC. Mais, à partir de la seconde moitié des années 1970, la statue est boulonnée. Souffrant d’un cancer de la lymphe depuis 1999, le lion devenu vieux passait son temps entre Mexico et Cuba. Son dernier roman, Mémoire de mes putains tristes, a été publié en 2004. Il raconte la passion érotique d’un homme de 90 ans pour une jeune femme, Delgadina, qui en a quatorze. C’est un livre d’un deuil solaire, où tout ce qu’une vie peut donner de solitude se dissout dans la célébration active et silencieuse d’un corps. Les meilleurs romans de García Márquez sont, eux aussi, des jeunes filles, toujours sur le point de se réveiller d’un profond sommeil, et qui rendent au lecteur la sensualité qu’ils n’ont cessé, phrase après phrase, d’absorber : «Car aux lignées condamnées à cent ans de solitude, écrit-il dans le roman qui fit sa gloire, il n’est pas donné de seconde chance sur la terre.»

TELERAMA


Gabriel García Márquez, le roman d'une vie

Tour d'une œuvre | L'écrivain vient de mourir à 87 ans. En 2003, l'auteur de “Cent ans de solitude” avait repris la plume après une longue période de silence pour publier le premier tome de ses Mémoires.

Le 18/04/2014 à 00h00- Mis à jour le 18/04/2014 à 11h17
Michèle Gazier - Télérama n° 2805


Gabriel García Márquez ne répond plus. Il garde le silence, et cela dure depuis quelques années déjà. Lassitude d'un écrivain qui a beaucoup parlé de lui, de son oeuvre, de ses engagements ? Volonté de ne pas brouiller, par des propos qu'il ne peut contrôler, une image qu'il a soigneusement construite ? Ou, simplement, fatigue d'un homme de 76 ans que la maladie (un cancer de la lymphe) a affaibli ? Le silence a nourri les rumeurs. On a dit tout et n'importe quoi. Et même qu'il était mort : un texte apocryphe avait circulé sur Internet dans lequel l'auteur de Chronique d'une mort annoncée faisait ses adieux à ses amis !

Aujourd'hui, il n'y a plus de mystère. García Márquez s'est tu avec obstination parce qu'il était ailleurs. Il menait l'enquête sur sa propre vie. A la recherche de son passé, il revisitait avec l'aide des témoins, de ses proches, les étapes d'un fabuleux parcours qui a mené l'enfant pauvre né à Aracataca, dans l'Etat de Magdalena, en Colombie, à la renommée mondiale, certifiée par le prix Nobel de littérature en 1982. La parution des Mémoires de García Márquez, c'est un événement qui a été souvent annoncé, toujours retardé. Ses éditeurs l'ont attendu pendant sept ans. Vivre pour la raconter est une fresque autobiographique prévue en trois tomes. Voici le premier, sur l'enfance, la jeunesse et l'apprentissage de l'écriture par un jeune homme que sa famille avait surnommé « Gabito », qui est resté « Gabo » pour les intimes. Qui avait attrapé très tôt le virus du journalisme (« Le reportage reste pour moi le genre par excellence du meilleur métier du monde ») et n'est devenu romancier qu'à 40 ans sonnés, avec un chef-d'oeuvre universel, Cent Ans de solitude.
L'écriture de soi, un mensonge doré

Il y a eu depuis d'autres grands romans, des nouvelles magnifiques : tous, ou presque, ont ramené le romancier vers ces années décisives de violence, de misère et de rêverie. Elles tiennent maintenant dans les six cents pages d'un récit d'une foisonnante richesse qui se clôt (provisoirement) sur le premier voyage, en 1955, de García Márquez en Europe. Et qu'il boucle, avec un infaillible sens romanesque, sur la promesse d'une histoire d'amour. La jeune fille de ses rêves s'appelle alors Mercedes Barcha, il va l'épouser par la suite, et elle est toujours sa femme...

Salué comme un événement considérable dans toute l'Amérique latine où il est sorti il y a un an, et en Espagne où il s'est vendu à un million d'exemplaires, ce livre tant espéré déborde somptueusement des limites de l'autobiographie. « La vie n'est pas ce que l'on a vécu, mais ce dont on se souvient et comment on s'en souvient. » Cette courte phrase placée en exergue dit tout. Et le lecteur, bousculé, bouleversé, étonné, et souvent ébloui par l'ampleur de ce récit d'initiation, découvre une lumineuse vérité qui n'a cessé de guider l'auteur : toute écriture de soi est une construction littéraire, un mensonge doré. Il y revient quand il explique (page 554 de Vivre pour la raconter) : « Je ne saurais aujourd'hui faire le compte des interviews dont j'ai été victime depuis cinquante ans partout dans le monde. [...] L'immense majorité de celles que je n'ai pu éviter, quel que soit le sujet sur lequel elles portaient, devront être considérées comme une partie importante de mon oeuvre de fiction, car elles ne sont que cela : des inventions sur ma vie. »

“La vie n'est pas ce que l'on a vécu,
mais ce dont on se souvient
et comment on s'en souvient.”

En formidable conteur, García Márquez part d'un moment-clé de sa vie. Nous sommes le 18 février 1950, à Barranquilla, sur le rivage atlantique, à l'embouchure du fleuve Magdalena. C'est là que vit Gabito. Il a 22 ans et vient d'interrompre ses études en cachette de son père, Gabriel Eligio, qui rêvait de le voir diplômé pour qu'il s'arrache à la misère où végètent les onze enfants de la famille Márquez. Ce jour-là, Luisa Santiaga, la mère, débarque à l'improviste. Elle vient chercher son fils aîné pour qu'il l'accompagne à Aracataca, où, pour survivre, elle a décidé de vendre la maison des grands-parents. « Le seul moyen de se rendre de Barranquilla à Aracataca était de prendre le bateau à moteur délabré qui naviguait sur un canal creusé par les esclaves à l'époque coloniale, puis traversait un vaste marécage d'eaux troubles et désolées jusqu'au mystérieux village de Ciénaga. Là, on prenait le train [...]. »

Aracataca, Gabito y a passé son enfance en compagnie de son grand père maternel, le colonel Nicolás Márquez, de sa grand-mère Tranquilina – dite  « Mina » – et d'une nuée de tantes et de voisins qu'il fera revivre dans ses premiers écrits avant d'en faire, un peu plus tard, d'inoubliables personnages de roman. Rappelez-vous ces lignes de Cent Ans de solitude: « Macondo était alors un village d'une vingtaine de maisons en glaise et en roseau, construites au bord d'une rivière dont les eaux diaphanes roulaient sur un lit de pierres polies, blanches, énormes comme des oeufs préhistoriques... » La mythique Macondo, patrie des Buendía, c'est évidemment la transposition romanesque d'Aracataca.

Quand le jeune García Márquez retrouve, en février 1950, la petite bourgade poussiéreuse qu'il a quittée à l'âge de 8 ans, l'idée s'insinue en lui qu'il pourrait retrouver par l'écriture le temps perdu de l'enfance. Il va fiévreusement se lancer dès son retour, mais il lui reste encore à saisir la richesse de ses souvenirs, enfouie dans la putréfaction flamboyante d'une nature exagérée où se dissolvent les êtres et les choses.
La genèse du « réalisme magique »

La magie de ce monde primitif et échevelé, ce sont les vendeurs des kiosques de Buenos Aires qui, les premiers, y succombent. En mai 1967, critiques autodidactes mais inspirés, ils recommandent à leurs clients ce pavé de trois cent cinquante pages édité en Argentine. Le premier tirage de Cent Ans de solitude – huit mille exemplaires – est rapidement épuisé. Les suivants encore plus vite. Le livre fait l'effet d'une bombe dans le paysage foisonnant de la littérature latino-américaine. Les grands écrivains de l'époque réagissent comme un seul homme. « García Marquez apporte [...] une nouvelle preuve de la façon dont l'imagination en sa puissance créatrice la plus haute a fait irruption irréversiblement dans le roman sud-américain », écrit l'Argentin Julio Cortázar, auquel fait écho le Mexicain Carlos Fuentes qui voit Macondo « se métamorphoser en un territoire universel ». Le Péruvien Mario Vargas Llosa, enthousiaste, salue, lui, « une prose brillante, une technique d'envoûtement infaillible, une imagination luciférienne qui ont rendu possible cet exploit narratif. »

Après beaucoup de tâtonnements, d'essais plus ou moins aboutis et l'écriture avortée d'un roman, La Casa, Márquez a trouvé enfin les mots, le ton, la musique, le rythme fou, celui, en un mot du « réalisme magique » qui sera pour toujours associé à son oeuvre. Trente-six ans et quelque vingt millions d'exemplaires plus tard, les lecteurs seront probablement frappés de retrouver, dans les mémoires de García Márquez, non seulement l'atmosphère et les images du roman mais aussi des phrases entières de Cent Ans de solitude. C'est que « Gabo » a toujours senti que la réalité pouvait nourrir les rêves les plus fous de la fiction.

Cette rare alchimie romanesque n'a pas été engendrée par la seule mémoire. García Márquez nous promène avec un égal bonheur dans le labyrinthe de sa jeunesse et dans celui de ses lectures. Pour lui, lire c'est vivre, dépasser la réalité médiocre d'une existence constamment chahutée par la pauvreté. Au menu, des poètes, encore des poètes, toujours des poètes. García Márquez a longtemps flirté avec des groupes plus ou moins d'avant-garde en quête d'une esthétique neuve entre la poésie savante, le lyrisme et la chanson populaire qui sont restés intimement liés dans toute son oeuvre. Il avouera s'être gavé d'auteurs médiocres du XIXe siècle espagnol, et garder une passion intacte pour « l'immense Gustavo Adolfo Bécquer », à ses yeux « l'équivalent de Chopin ». (1) Pablo Neruda, García Lorca l'ont également ébloui par la lumineuse simplicité de leur langue et leurs audaces formelles. Et c'est l'oeuvre du Nicaraguayen Rubén Darío qui a accompagné l'écriture de L'Automne du patriarche, grand poème en prose sur le naufrage voluptueux d'un dictateur.

“Nous, les costeños,
nous sommes les gens
les plus tristes du monde”

Il y a, chez Márquez, un indéfectible attachement à des racines intangibles. Lui qui a vécu dans plusieurs villes de son pays, Aracataca et Barranquilla, mais aussi Sucre, Bogotá et Carthagène des Indes, se dit costeño : Il est homme de la côte caraïbe, rien à voir avec le Colombien de l'intérieur, ni par sa culture, ni par sa vision du monde. « Nous les costeños, nous sommes les gens les plus tristes du monde », explique-t-il. Puis, évoquant les « bals du tonnerre de sa jeunesse », il ajoute : « Je me rappelle qu'au milieu d'une rumba, nous abandonnions notre partenaire et allions nous asseoir dans un coin pour dévider [...] le film infini de la littérature, pour terminer taca-taca-taca-taca, en récitant de la poésie. Ce genre de chose ne se guérit jamais : c'est un vice. » (2)

La poésie se déclame, se chante, se partage entre amis. Le roman suppose la solitude. La passion romanesque, chez Márquez, a été plus tardive. Il lit tout ce qui lui tombe sous la main, partout, dans les bistrots, les chambres d'hôtels miteux, et même dans un certain tramway de Bogotá où il fait des voyages en boucle, plongé dans les livres qu'on lui prête. C'est à cette époque qu'il découvre Faulkner. Rencontre éminemment décisive : Macondo, lieu à la fois réel et imaginaire où s'enracine Cent Ans de solitude, est très proche, dans sa conception, de Yoknapatawpha, le comté mythique créé par l'auteur du Bruit et la Fureur...

C'est avec une infinie tendresse, une touche de complaisance et un rien d'ironie, que Márquez le Nobel regarde aujourd'hui « Gabo » le plumitif avide de savoir, habillé comme un clochard, cheveux et moustache en bataille. Dans son entourage, on raconte qu'à Stockholm, pour recevoir le prix, il avait revêtu le costume traditionnel colombien, d'un blanc immaculé, mais on ajoute, non sans malice, que pour la réception du chèque, qu'il attendait avec une impatience et une crainte de gamin – allait-on vraiment le lui donner ? – il avait enfilé un frac... Son ami, l'écrivain colombien Alvaro Mutis évoque la timidité de « Gabo » en ce moment de gloire, sa maladresse, son inquiétude. Comme si, dans le triomphe, García Márquez n'avait pas réellement changé. Peut-être s'est-il souvenu alors de l'expédition du manuscrit de Cent Ans de solitude. Avec son épouse, Mercedes, ils ont séparé les feuillets en deux piles, et n'en ont posté qu'une, car ils n'avaient pas de quoi payer pour la totalité... García Márquez est un génie aussi dans l'art de donner à toute histoire, y compris la sienne, les couleurs du légendaire.
Journaliste, homme du monde et castriste




García Márquez a eu cette idée merveilleuse d'inventer un faux roman en cours, juste pour le raconter aux curieux. Parce que, assure-t-il, « raconter tout haut la véritable histoire porte malheur ». C'est qu'entre deux livres, il n'a jamais cessé d'écrire. Quand le romancier se mettait en veilleuse, c'est le journaliste qui prenait – qui prend encore – le relais. Il a longtemps tenu une chronique hebdomadaire dans El Espectador, un journal de Bogotá, qui était reprise dans El País. En 1993, il a fondé à Carthagène des Indes l'école du nouveau journalisme, où il continue d'inviter des journalistes européens et latino-américains pour animer des séminaires. Quatre ans plus tard, en s'installant à Mexico, il annonçait qu'il ne retournerait plus en Colombie, à cause d'une situation politique « peu propice à l'écriture ». L'année suivante, pourtant, il est revenu à Bogotá pour s'occuper activement de Cambio, hebdomadaire dont il était devenu l'actionnaire principal, en y investissant l'argent du Nobel – « oublié sur un compte en Suisse depuis seize ans ». C'est la patte du conteur qui a sorti l'hebdo de sa léthargie et au fil des articles réguliers a permis de multiplier par trois sa diffusion.

Dans la statue du grand écrivain unanimement admiré, qui a rencontré « les grands » de ce monde, de Mikhaïl Gorbatchev (« C'est la première fois qu'un secrétaire du Parti communiste soviétique est plus petit que moi ») au pape Jean-Paul II, de Yasser Arafat à François Mitterrand qui l'a fait commandeur de la Légion d'honneur, il y a une faille de taille : son soutien inconditionnel à Fidel Castro. Il était encore la cible des attaques au printemps dernier quand une terrible répression s'abattait sur les intellectuels cubains sans qu'il proteste. Incompréhensible silence. Dans ce premier volume de mémoires passe la silhouette du jeune Fidel, leader étudiant croisé à Bogotá en 1948. Il évoque le lien indéfectible qui allait être le leur ensuite, tout en précisant, au détour d'une page, qu'il n'a jamais appartenu à un parti politique, se contentant d'être un « compagnon de route ». Engagé, pourtant, il l'est depuis toujours. Contre « l'impérialisme américain », pour les sandinistes du Nicaragua, pour les luttes de libération en Angola et au Mozambique mais contre les guérillas colombiennes qui « tuent » son pays... Autant de prises de positions que sa notoriété a amplifiées, martelées publiquement, qui plus est, sur un ton que certains ont jugé suffisant, et qui, selon ses proches, n'est que l'effet de sa maladive timidité. Avec Castro, il est, assurent ses proches, dans un autre registre. Sa fidélité, il l'a résumée d'une phrase définitive : « Je suis de ceux que l'on enterre avec leurs amis. » En livrera-t-il davantage dans le deuxième – voire le troisième tome – de Vivre pour la raconter ?...
Un seul crédo : laisser parler la réalité

Installé entre Mexico (où il réside), Bogotá et Los Angeles (où il se soigne), García Márquez écrit chaque jour, s'imposant « des horaires d'employé de bureau ». Il laisse venir à lui les souvenirs, les images. Il dit continuer à ne rien inventer. Il affirme même « retranscrire » ce qui remonte du passé comme dans un reportage. Ainsi a-t-il fini par écrire Chronique d'une mort annoncée, en 1981, dont le point de départ est l'histoire vraie d'un assassinat qui l'avait frappé dans sa jeunesse. Il a attendu trente ans que la mère de la victime disparaisse, respectant ainsi la promesse faite à sa propre mère, qui était son amie. De même, c'est quand ses parents sont arrivés au crépuscule de leur vie qu'il a entrepris le récit de leurs amours contrariées, et finalement triomphantes, qui sert de trame à L'Amour au temps du choléra.

Entre le journalisme et la littérature, García Márquez n'a jamais distingué que des degrés d'écriture différents. Un seul credo : laisser parler la réalité, car la réalité, en la revisitant, en la décalant, en la sublimant, reste incomparable. Evoquant sa grand-mère Mina devenue aveugle, et qu'on venait d'opérer, il raconte une très tendre histoire. « Lorsqu'on lui ôta ses pansements, ma grand-mère [...] ouvrit les yeux radieux de sa nouvelle jeunesse, son visage s'illumina et elle résuma sa joie en un seul mot : “Je vois.” Le chirurgien voulut savoir ce qu'elle voyait si bien, et elle balaya la pièce de son regard renaissant, désignant chaque chose avec une précision admirable. Le médecin fut interloqué de l'entendre nommer des objets dont aucun ne se trouvait dans sa chambre d'hôpital. Moi seul savais qu'elle décrivait ceux de sa chambre à Aracataca. » Quelle plus belle métaphore pouvait résumer la magie de la littérature selon Gabriel García Márquez ?

(1) Entretien avec Hector Bianciotti, Le Nouvel Observateur, janv. 1982.
(2) A la rencontre de García Márquez de Juan Gustavo Cobo Borda, traduit de l'espagnol par Georges Lomné. Ed. Espaces 34.
Bibliographie

Des romans

Ses trois premiers récits, Des feuilles dans la bourrasque, Pas de lettre pour le colonel et La Mala Hora (traduits par Claude Couffon, éd. Grasset), sont parus en France après Cent Ans de solitude. On y retrouve l'univers troublant d'un pays caraïbe où le réel flirte avec la magie.

Cent Ans de solitude (traduit par Claude et Carmen Durand, éd. du Seuil, 1968) : LE chef-d'oeuvre.

L'Automne du patriarche (traduit par Claude Couffon, éd. Grasset, 1977), plus difficile que Cent Ans..., plus baroque, ce poème lyrique en prose est une variation sur le thème très latino-américain des dictateurs.

Chronique d'une mort annoncée (traduit par Claude Couffon, éd. Grasset, 1981). Surprenant de sobriété, ce court roman, qui raconte la mort d'un jeune homme poursuivi et qui ne peut se réfugier chez lui, est un modèle de virtuosité narrative.

L'Amour au temps du choléra (traduit par Annie Morvan, éd. Grasset, 1987) est un superbe roman d'amour et une méditation sur la vieillesse. Inspiré de l'histoire de ses parents, c'est le grand livre de la maturité de García Márquez.

Des nouvelles

Nouvelliste militant - il place le « cuento » (nouvelle) au-dessus du roman – García Márquez a écrit deux recueils majeurs : Les Funérailles de la Grande Mémé et L'Incroyable et Triste Histoire de la candide Erendira et de sa grand-mère diabolique (traduits par Claude Couffon, éd. Grasset, 1977). La nouvelle-titre du deuxième volume a été portée à l'écran par le Brésilien Ruy Guerra. On y retrouve cette sensualité particulière dans l'évocation des femmes et de l'étrange volupté des relations amoureuses et vénales.

 Une enquête

Journal d'un enlèvement, traduit par Annie Morvan (éd. Grasset, 1997). Efficace enquête sur des enlèvements en Colombie. Márquez fait coïncider ici ses deux écritures, journalistique et littéraire, pour dénoncer la situation politique du pays.








Le Monde.fr



Mort de Gabriel Garcia Marquez, légende de la littérature

Le Monde.fr | 17.04.2014 à 22h20 • Mis à jour le 18.04.2014 à 17h04 | Par Ramon Chao, Florence Noiville et Marie Delcas (Bogota, correspondante)



Gabriel Garcia Marquez, le 25 octobre 1982, alors qu'il vient de recevoir le prix Nobel de littérature.

Lire l'intégralité de notre nécrologie de Gabriel Garcia Marquez dans l'édition abonnés du Monde.fr
Affectueusement surnommé « Gabo » dans toute l'Amérique latine, le Colombien Gabriel Garcia Marquez, Prix Nobel de littérature 1982, l'un des plus grands écrivains du XXe siècle, est mort à son domicile de Mexico jeudi 17 avril. Il était âgé de 87 ans. Son œuvre a été traduite dans toutes les langues ou presque, et vendue à quelque 50 millions d'exemplaires.

En 1999, la nouvelle s'était répandue qu'un cancer lymphatique serait sur le point de l'abattre, plongeant déjà ses lecteurs et admirateurs dans l'inquiétude. Tous les journaux de la planète rédigèrent alors sa nécrologie à la hâte, bientôt remballée dans les tiroirs. Double chance, pour lui et pour tous, car cela permit à Gerald Martin, britannique et professeur de littérature, de publier une biographie exhaustive, Gabriel Garcia Marquez, une vie (Grasset, 2009, édition originale en anglais chez Bloomsbury, 2008). Rétabli, mais victime d'une mémoire quelque peu chancelante, l'auteur de Cent ans de solitude avait disparu de toute vie publique ces dernières années.

Aîné de onze enfants, Gabriel José de la Concordia Garcia Marquez est né le 6 mars 1927, à Aracataca, un village perdu entre les marigots et les plaines poussiéreuses de la côte caraïbe colombienne. Son père y est télégraphiste. Dans l'œuvre de Gabo, Aracataca deviendra Macondo, un endroit mythique mais réel, à la différence du Yoknapatawpha County de William Faulkner ou de la ville fictive de Santa Maria de Juan Carlos Onetti. L'espagnol sud-américain a fait de « macondiano » un adjectif pour décrire l'irrationnel du quotidien sous ces latitudes. Gerald Martin explique l'importance qu'eut pour le futur écrivain son village et en particulier sa maison : « pleine de monde - grands-parents, hôtes de passage, serviteurs, indiens -, mais également pleine de fantômes » (celui de sa mère absente en particulier).

 

 Le prix Nobel colombien de Littérature Gabriel Garcia Marquez, considéré comme un des plus grands écrivains de langue espagnole, est mort à son domicile de Mexico quelques jours après avoir été hospitalisé pour une pneumonie.

INFLUENCE LIBÉRALE

Juste après la naissance de Gabriel, son père décide de devenir pharmacien, en autodidacte. En 1929, il quitte Aracataca en compagnie de sa femme. Le garçon sera élevé par ses grands-parents, dans une maison transformée aujourd'hui en musée. Sa formation intellectuelle ainsi qu'un certain sens de la démesure lui viennent du colonel Marquez, son grand-père libre-penseur qui, pour meubler l'ennui d'un temps immobile, lui ressassait inlassablement ses souvenirs de la guerre des Mille Jours : une dévastatrice guerre civile qui, entre 1899 et 1902 opposa le camp « libéral » (dont il faisait partie) et celui des « conservateurs », et se solda par la victoire de ces derniers.

A ce « Papalelo », comme il le surnomme, le futur écrivain doit aussi les fondements de sa conscience politique et sociale. Le colonel faisait en effet partie des personnalités colombiennes qui s'étaient élevées contre le « massacre des bananeraies » : en décembre 1928, des centaines d'ouvriers agricoles en grève (1 500 selon certaines sources) avaient été tués par l'armée colombienne, sous la pression des Etats-Unis qui menaçaient d'envahir le pays avec leur marines si le gouvernement n'agissait pas pour protéger les intérêts de la compagnie américaine United Fruit. Dans Cent ans de solitude, son œuvre majeure, l'écrivain retrace sous forme de fiction cet épisode sanglant.

A huit ans, il part rejoindre ses parents qui l'enverront en pension chez les jésuites dans la ville de Baranquilla, puis à Bogota. Il publie ses premiers écrits dans la revue du collège. Baccalauréat en 1946, études de droit- vite abandonnées - et premières collaborations dans la presse : c'est en tant que journaliste que Garcia Marquez entre dans la vie publique. Lectures classiques : Kafka, Joyce, Virginia Woolf, Faulkner, Hemingway… Mais les influences ne jouent que sur la forme. Le fond, ce sera l'impalpable, le culte du surnaturel, des fantômes et des prémonitions transmis par sa grand- mère galicienne quand elle se levait la nuit pour lui raconter les histoires les plus extraordinaires de revenants, sorcières et nécromanciennes. Ainsi Marquez s'insère-t-il naturellement dans un courant littéraire hispanique et latino-américain incarné par Alvaro Cunqueiro, Miguel Angel Asturias et Alejo Carpentier: le réalisme magique ou le réel merveilleux.



En 1955, le jeune journaliste découvre la vérité sur la catastrophe du Caldas : ce destroyer de la marine colombienne, le pont surchargé de marchandises de contrebande, avait perdu huit hommes d'équipage dans la mer des Caraïbes lorsque les câbles de cette cargaison illicite avaient lâché. Les officiers avaient prétendu avoir affronté une terrible tempête. Après cent-vingt heures d'entretiens avec le seul rescapé, Garcia Marquez publie une série de quatorze articles, rédigés à la première personne et signés par le marin, qui seront repris en 1970 dans un livre sous le titre Journal d'un naufragé. Les lecteurs de EL Espectador s'arrachent le récit. Craignant les représailles du régime militaire alors au pouvoir, la direction du quotidien envoie Garcia Marquez en Europe.

FLN ET RIDEAU DE FER

Il arrive à Paris en pleine guerre d'Algérie, fréquente les milieux du FLN et, pour délit de faciès, s'expose ainsi aux « ratonnades » alors pratiquées par la police française. Jeune homme de gauche, proche des communistes, il effectue des voyages dans les pays de l'Est. Malgré ses préférences politiques, ses visites lui laissent une impression plutôt sinistre, consignée dans 90 jours derrière le rideau de fer (1959). Lorsque le dictateur Rojas Pinilla interdit El Espectador, le journaliste Garcia Marquez se retrouve sans travail. Il écrit et survit, en attendant la gloire et l'argent.

Sa compagne d'alors fait des ménages, lui ramasse papiers, journaux et bouteilles vides pour les vendre. Ces années impécunieuses trouveront leur écho, en 1961, dans Pas de lettre pour le colonel. L'année suivante paraîtront le roman La Mauvaise heure et Les Funérailles de la grande Mémé, un recueil de huit nouvelles : sortes de « moyens métrages » et, en quelque sorte, d'esquisses préfigurant ce que sera, cinq ans plus tard, Cent ans de solitude.

Entretemps, Garcia Marquez est revenu en Amérique Latine. Il y a épousé, en 1958, son amour d'adolescence Mercedes Barcha. Jamais ils ne se quitteront.

Gabriel Garcia Marquez et sa femme Mercedes Barcha en Colombie, en 2007.

Deux fils sont nés de cette union : Rodrigo qui, après des études d'histoire médiévale à Harvard, deviendra réalisateur de cinéma et Gonzalo, qui sera enseignant à Paris. En 1961, Garcia Marquez, qui travaille pour l'agence de presse cubaine Prensa Latina, effectue en journaliste et en ami du nouveau régime castriste une première visite à Cuba. Puis il se rend à New York en attente d'un visa pour le Canada, où l'agence l'a chargé d'ouvrir un bureau. Mais l'affaire tarde, ne se réalise pas et le journaliste écrivain, qui s'ennuie, embarque en bus sa petite famille pour le Mexique, le pays où il passera la plus grande partie de sa vie.

LE CHOC DE « CENT ANS DE SOLITUDE »

C'est quelques années plus tard qu'il va, d'un seul coup, accéder définitivement à la célébrité mondiale. Dès sa publication en 1967, à Buenos Aires, l'engouement rencontré par Cent ans de solitude (publié en français par Le Seuil en 1968) est extraordinaire. Tous les lecteurs d'Amérique Latine connaissent de mémoire sa première phrase : « Bien des années plus tard, face au peloton d'exécution, le colonel Aureliano Buendia devait se rappeler ce lointain après-midi au cours duquel son père l'emmena faire connaissance avec la glace. « A la fois épopée familiale, roman politique et récit merveilleux, c'est « le plus grand roman écrit en langue espagnole depuis Don Quichotte », selon le poète chilien Pablo Neruda. L'écrivain y déploie, sans une seconde d'enlisement ni de distraction, son langage puissant, à la fois exubérant et parfaitement maîtrisé.

Depuis la fondation du village fictif de Macondo, se déploie, sur six générations, l'histoire de la famille Buendia, une sorte de dynastie dont le destin est lié à la chronique mythologique du continent. Toute l'Amérique latine se reconnaîtra bientôt dans cette saga héroïque et baroque. Cinq ans après sa sortie, Cent ans de solitude aura déjà été publié dans vingt-trois pays et se sera vendu à plus d'un million d'exemplaires rien qu'en langue espagnole. On sait que Garcia Marquez fut sincèrement abasourdi par le succès de ce livre. Il l'attribua au fait qu'il était d'une lecture facile, avec son enchaînement de péripéties fantastiques. Toujours est-il que son impact contribua à la notoriété internationale des autres écrivains du « boom latino-américain », de Juan Rulfo à Mario Vargas Llosa, en passant par Jorge Luis Borges, Julio Cortazar et Carlos Fuentes.

Fidel Castro et Gabriel Garcia Marquez, en 2000.

LA « GUERRE DE L'INFORMATION »

Garcia Marquez, meurtri et révolté par la dictature installée au Chili depuis le coup d'Etat du général Pinochet en septembre 1973, se refuse, pour un temps, à écrire de nouveaux romans et préfère s'engager dans ce qu'il appelle « la guerre de l'information ». Il contribue dans son pays à la création d'une revue indépendante, Alternativas, fustige le capitalisme et l'impérialisme, prend la défense du tiers-monde et soutient publiquement, sans états d'âme apparents, le régime de Fidel Castro.

En 1982, les jurés de Stockholm lui décernent le prix Nobel. Les rues de son village se couvrent de banderoles: « Aracataca, capitale mondiale de la littérature ». Il assistera à la cérémonie vêtu du « liqui-liqui », le costume blanc traditionnel de la côte caraïbe, au lieu du smoking protocolaire. Son discours de réception est un fougueux plaidoyer pour l'Amérique latine dont il décrit la « solitude » face « à l'oppression, au pillage et à l'abandon », alors même que les dictatures s'y multiplient.

Son évocation de « cette patrie immense d'hommes hallucinés et de femmes historiques, dont l'entêtement sans fin se confond avec la légende » - résonne dans tout le continent. Après le Nobel, Garcia Marquez tourne le dos à Macondo et à l'univers prodigieux de son enfance. Désormais, sa production se situera, pour l'essentiel, à mi chemin entre le journalisme, l'histoire et le roman populaire.

« LES ROMANCIERS NE SONT PAS DES INTELLECTUELS »

Plus tard, ni L'Amour au temps du choléra (1985), ni Le Général dans son labyrinthe (1989), ni sa dernière fiction Mémoires de mes putains tristes (2004), ne remporteront le succès des œuvres précédentes. Qu'importe. Gabo est devenu une référence. On le sollicite - notamment à plusieurs reprises comme médiateur lors des pourparlers de paix engagés avec la guérilla colombienne -, on le consulte sur tous les sujets. Garcia Marquez n'est pas dupe. « Je suis un romancier, disait-il, et nous, les romanciers, ne sommes pas des intellectuels, mais des sentimentaux, des émotionnels. Il nous arrive à nous, Latins, un grand malheur. Dans nos pays, nous sommes devenus en quelque sorte la conscience de notre société. Et voyez les désastres que nous provoquons. Ceci n'arrive pas aux Etats-Unis, et c'est une chance. Je n'imagine pas une rencontre au cours de laquelle Dante parlerait d'économie de marché. »

Au delà de la politique et de la mythologie, Garcia Marquez n'aura jamais cessé d'élaborer un immense discours sur la mort et sur la solitude, que ce soit dans Les Funérailles de la Grande Mémé, L'Automne du patriarche, Chronique d'une mort annoncée et, bien entendu, Cent ans de solitude qui porte sur la fin d'une dynastie et d'une civilisation. « Je pense évidemment à la mort », avait-il déclaré. « Mais peu, aussi peu que possible. Pour en avoir moins peur, j'ai appris à vivre avec une idée très simple, très peu philosophique : brusquement tout s'arrête et c'est le noir absolu. La mémoire est abolie. Ce qui me soulage et m'attriste, car il s'agira là de la première expérience que je ne pourrai pas raconter. »

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