JOAO PINA




João Pina
Le photographe João Pina a entamé en 2005 un travail de recherche portant sur l’opération Condor, un plan militaire secret initié en 1975, durant la guerre froide, par six pays latino-américains : le Brésil, l’Argentine, la Bolivie, le Chili, l’Uruguay et le Paraguay. Aux mains de dictatures militaires de droite, les gouvernements de ces pays entendaient éliminer opposants et détracteurs politiques. Ces personnes étaient arrêtées, torturées et assassinées.


 Beaucoup d’entre elles restent à ce jour
« disparues ». Il aura fallu près d’une décennie à João Pina pour achever "Opération Condor", qui observe les effets causés par une si longue période de dictature sur notre société, sur les survivants et les familles qui doivent vivre avec de profonds traumas. Toutes les photographies rassemblées ici agissent comme un cri figé dans le temps. C’est bien face à notre propre histoire que nous nous trouvons. Et nous ne pouvons échapper à la question de savoir quelle sorte de justice nous voulons désormais.
Commissaire de l’exposition : Diógenes Moura.
Publication : "Condor", éditions du Sous-sol, 2016.
João Pina 2016.
musée départemental
arles antique

Entrée lieu : 10€

Billetterie forfaits
4 JUILLET – 28 AOÛT
10H-18H

João Pina
In 2005, photographer João Pina became acquainted with and began to research Operation Condor, a secret military plan started in 1975, during the Cold War, by six Latin American countries: Brazil, Argentina, Bolivia, Chile, Uruguay and Paraguay. Ruled by right-wing military dictatorships, these countries' governments intended to eliminate political opponents and detractors.Those people were arrested, tortured and murdered. Many of them remain ‘disappeared’. It took João Pina almost a decade to finish "Operation Condor", which works as an eye watching the effects that such long period of dictatorship caused to our society, to some survivors and families who still have to live every day with deep traumas. All the photographs here act as an outcry frozen in time. We are here before our own history. We can only wonder what kind of justice we want now.
Exhibition curator: Diógenes Moura.
Publication: "Condor", Éditions du Sous-sol, 2016.


João Pina commence à travailler à 18 ans et est diplômé de l’International Center of Photography de New York en 2005. Ses photographies ont notamment été publiées dans "D Magazine", "El Pais", "Expresso", "GEO", "The New York Times", "The New Yorker", "Newsweek", "Stern", "Time Magazine" et "Visã". Son travail a été exposé à l’Open Society Foundations, au Centre international de la photographie, à la Point of View Gallery et à la Howard Greenberg Gallery (New York), à la Canon Gallery (Tokyo), au Centre portugais de la photographie à Porto et au musée d’Art moderne de Rio. Son premier livre "Por Teu Livre Pensamento", publié en 2007, rassemble les histoires de 25 ex-prisonniers politiques portugais. À l’origine d’une campagne de sensibilisation d’Amnesty International, ce projet lui a valu en 2011 un Lion d’or au festival international de la créativité de Cannes.
Né en 1980 à Lisbonne, Portugal. Vit et travaille à Buenos Aires, Argentine.














Un avion(2011)duquel ont été jetés des corps au-dessus de l'Atlantique João Pina
A TRAVERS LA PRESSE

Opération grand angle pour les Rencontres d’Arles 2016 : sous la houlette de Sam Stourdzé, le festival élargit ses horizons en investissant de nouveaux lieux. Éclectique et ouverte sur l’ailleurs, cette 47ème édition se déroulera du 4 juillet au 25 septembre. Mêlant grands noms et jeune création, photo documentaire et fantaisies inattendues.

Une prise de bec pop et mordante : les Rencontres d’Arles annoncent la couleur avec cette nouvelle affiche signée Toilet Paper, magazine surréaliste fondé en 2010 par Maurizio Cattelan et Pierpaolo Ferrari. Cent trente-sept artistes, 32 expositions et sept associées : le festival, qui réaffirme son soutien à la jeune création, s’annonce touffu. Pas de thème global, mais plusieurs séquences, chacune composée d’une poignée d’expositions. Histoire de proposer « une radioscopie de la création contemporaine », explique le directeur Sam Stourdzé, aux manettes depuis l’an dernier.

Signe de bonne santé, le festival (dédié cette année à l’écrivain Michel Tournier, son co-fondateur décédé en janvier) s’élargit avec cinq nouveaux lieux arlésiens dont l’ancien collège Mistral (devenu le fief de Cosmos Arles Books, Salon du livre de la photo), la fondation LUMA au Parc des Ateliers qui présentera plusieurs expositions, et la Fondation Manuel Rivera-Ortiz. Mais aussi trois lieux hors les murs : le Carré d’Art de Nîmes, la fondation Lambert d’Avignon et la Villa Méditerranée de Marseille accueilleront chacun une exposition, dans le cadre du projet « Grand Arles express ».
Une programmation éclectique

Au programme : éclectisme et regard neuf. Loin de tout misérabilisme, la séquence « Africa Pop » célébrera le dynamisme de l’Afrique. Avec notamment « Swinging Bamako » : l’exposition, rassemblant des artistes maliens dont Malick Sidibé, retrace l’aventure des Maravillas du Mali, musiciens partis à la Havane dans les années 1960 et symboles de toute une jeunesse en ébullition. Ou encore « Tear my  bra », une exposition inspirée de Nollywood, le Hollywood nigérian, revisitant à l’africaine les pépites du septième art.

L’idée ? Sortir des sentiers battus. A travers plusieurs séquences, on découvrira d’« étranges collectionneurs », des photographes singuliers qui « sortent du cadre » ou embrassent l’art du « hasard et de l’erreur ». Et de l’humour avec la séquence « Hara-Kiri », en hommage au magazine éponyme, ancêtre potache de Charlie Hebdo. Quelques fantaisies aussi : « Western stories », avec un zoom sur le western camarguais. Ou encore « Monstres & Co », proposant un panorama des monstres du cinéma, une série sur les rites folkloriques japonais signée Charles Fréger, et même un trio de photographes danois parti, entre l’enquête et le road-movie, sur la trace des extraterrestres de l’affaire Roswell.

Plus sérieux, tout un pan sera consacré à la photo documentaire. Un regard « nécessaire en ces temps difficiles », rappelle Sam Stourdzé. « Après la guerre » réunira quatre expositions, dont une collective consacrée au 11 septembre, ainsi qu’une exploration des restes de champs de bataille à travers le monde, par le photojournaliste Yan Morvan. Avortement (Laia Abril), modes de vie radicaux (Piero Martinello), disparition d’opposants politiques en Amérique du Sud (Joao Pina): « Plateformes du visible » proposera de « nouvelles approches du documentaire ». Enfin, la plus grande séquence célèbrera la photo de rue avec cinq expositions. Parmi elles, une rétrospective du remuant Sid Grossman (1913-1955), ou encore un dialogue inattendu entre Garry Winogrand (1928-1984) et le quadra new-yorkais Ethan Levitas. Mais aussi des vintage signés William Klein, maître quasi-nonagénaire de la street-photography. A découvrir le 4 juillet !

Les Rencontres de la photographie, Arles. Semaine d’ouverture du 4 au 10 juillet. Expositions du 4 juillet au 25 septembre.


opération CONDOR

Plan Condor
amérique du sud
dictatures
livre
Condor : le photographe João Pina rend hommage aux victimes des dictatures sud-américaines
Josias “Jonas” Gonçalves, ancien guérillero au début des années 1970, pris en photo dans la Serra das Andorinhas où il s’est battu contre l’armée brésilienne, dans la région de l’Araguaia. Serra das Andorinhas, Pará, Brésil, août 2011.
Josias “Jonas” Gonçalves, ancien guérillero au début des années 1970, pris en photo dans la Serra das Andorinhas où il s’est battu contre l’armée brésilienne, dans la région de l’Araguaia. Serra das Andorinhas, Pará, Brésil, août 2011.
©Joao Pina
Dans un livre épais et dense, le photographe portugais rassemble de nombreux - et précieux - témoignages des victimes ainsi que des proches des victimes du Plan Condor. Le plan secret des dictatures d’extrême droite de l’Amérique du sud pour annihiler l’opposition. Pendant dix ans, cette opération de répression a fait de dizaines de milliers de morts. C’est aussi le temps qu’il a fallu à João Pina pour compléter un travail titanesque de mémoire.
24 juin 2016
Mise à jour 04.07.2016 à 10:07
par
Florencia Valdés An
Josias « Jonas » Goncalves est né au Brésil en 1946. Quelques années plus tard, il rejoint une guérilla rurale opposée à la dictature brésilienne (1964-1985). Pris dans une embuscade, il voit un de ses camarades mourir décapités. Les militaires exigeaient de voir les têtes des guérilleros éliminés pour s’assurer qu’ils étaient bien « hors d’état de nuire ». Il passera six mois dans la jungle amazonienne.

Entre temps, sa tête est mise à prix. Les militaires arrêtent son père et le torturent. Quand il l’apprend, il propose de prendre sa place. Jonas est torturé à son tour. Ses tortionnaires veulent savoir où se trouvent ses camarades. Il ne le sait pas, les séances de torture cessent. Il reste tout de même en prison pendant six mois. La clandestinité et les années de guérilla pèsent encore sur lui.


João Pina est né à Lisbonne en 1980 et travaille en tant que photographe depuis l’âge de 18 ans. Il a consacré ces dix dernières années à l’Amérique latine et son travail a été publié dans le New Yorker, Time Magazine, Newsweek, Globo, El País. Son intérêt pour la mémoire n’est pas récent. Son premier ouvrage Pour ta libre pensée (2007), raconte l’histoire de 25 anciens prisonniers politiques de la dictature portugaise. Des récits qui le touchent personnellement.

C’est Jonas lui-même qui raconte son histoire à João Pina. Le journaliste l’a photographié torse-nu dans une rivière en pleine forêt amazonienne. Car le photographe de 36 ans s’est rendu avec les victimes dans les endroits emblématiques de leurs souffrances.  « Ce sont des endroits très parlants même si rien ne s’y passe », explique-t-il.

Certaines victimes, comme l’Argentine Mirta Clara, ont préféré de prendre la pose dans des endroits plus neutres. Fille d’intellectuels, elle était militante des « Montoneros », le bras armé du péronisme. Poursuivi par un groupe paramilitaire anticommuniste, elle finit para être arrêtée, torturée. Elle accouchera de son fils en prison où elle passera sept années de sa vie.  Son compagnon Nestor sera massacré en 1976 à l’époque où « les corps ne disparaissaient pas encore ».
Un projet inédit
Ces récits sont au cœur du livre en noir et blanc Condor : le plan secret des dictatures sud-américaines aux Editions du sous-sol. Un projet inédit car la thématique de ce plan conjoint des dictatures sud-américaines pour éliminer l’opposition de gauche a été traité d’une façon ou d’une autre par des photographes de chaque pays concerné.

L’originalité de ce livre, aussi beau que son contenu est laid, réside dans les pérégrinations de João Pina. Il  s’est rendu en Argentine, au Brésil, en Bolivie, au Chili, au Paraguay et en Uruguay pour retrouver les traces du plan Condor ainsi que pour analyser le système dans sa globalité.

Nous devons compter sur une organisation internationale pour faire face à la menace

En pleine guerre froide, en 1975, les hauts représentants de ces six dictatures reçoivent une invitation pour participer à une « réunion de travail » qui aura lieu au Chili. Ce sera la réunion fondatrice de ce système de répression et de mort : « La subversion a développé des organisations de défense intercontinentales, régionales, subrégionales… […] En revanche, les pays qui sont agressés politiquement, économiquement et militairement depuis l’intérieur se battent seuls. […] C’est pour faire face à cette guerre psycho-politique que nous devons compter sur une organisation internationale qui nous permette d’échanger des informations et des expériences ».
Ce sont les statuts du Plan Condor où les militaires ont écrit noir sur blanc qu’ils menaient une guerre de civilisations contre une idéologie contraire à « l’histoire, la philosophie, la religion et contraire aux us et coutumes de notre hémisphère ».

Salle de torture de l’"Olimpo", ancien centre de détention clandestin et centre de torture utilisé par la police fédérale et militaire sous la dictature militaire de 1976 à 1983 pour interroger et assassiner les militants de gauche de Buenos Aires. <br /> Buenos Aires, Argentine, novembre 2007.  <div>  </div>
Salle de torture de l’"Olimpo", ancien centre de détention clandestin et centre de torture utilisé par la police fédérale et militaire sous la dictature militaire de 1976 à 1983 pour interroger et assassiner les militants de gauche de Buenos Aires.
Buenos Aires, Argentine, novembre 2007.


Ce manifeste resté secret pendant des décennies a été retrouvé au Paraguay dans « les archives de l’horreur » par des militants des droits de l’Homme. « En bons bureaucrates, les policiers politiques du régime d’Alfredo Stroessner (1954-1989) archivaient tout avec soin. C’est ainsi que trois tonnes de documents ont été trouvées, y compris l’invitation à cette réunion fondatrice », explique João Pina qui a reproduit ces documents dans les premières pages du livre. Une façon saisissante d’entrer en matière.

Cette mine d’or trouvée en 1992 par Martín Almada, également présent dans cet album, est une preuve irréfutable de l’existence du Plan Condor. Dans les années 70, l’évoquer relevait pourtant de la paranoïa. Même si dès 1979 le journaliste américain Jack Anderson avait révélé dans le Washington Post le fonctionnement de cette cellule de renseignement et des escadrons de la mort. « C’était le scénario d’un film de série B de Hollywood pour les gens de l’époque », ironise le photographe.

C’est en 1994, pendant l’administration Clinton que nombreux documents seront déclassifiés. Ces archives viennent compléter le corpus trouvé par Martín Almada. Condor a bel et bien existé.

Bien avant, les témoignages des survivants l’ont laissé comprendre. Ils racontaient comment ils avaient été enlevés par des militaires étrangers. Les attentats aux Etats-Unis, ou encore en Europe, mettent en lumière l’existence du Condor sans pour autant pouvoir révéler l’envergure des opérations secrètes.
Les trois écoles du Plan Condor
Pour faire face au développement des mouvements communistes, les Etats-Unis ont joué un rôle non négligeable dans l’opération, à commencer par les démarches les plus avouables. Des militaires de toute la région venaient s’entraîner à l’Ecole des Amériques au Panama, où les militaires américains ne manquaient pas de prodiguer leur nombreux conseils de contre-espionnage et de contre-guérilla.

Familles de disparus à Calama, au Chili, près d’une fosse commune où 26 prisonniers politiques ont été enterrés par les forces armées chiliennes. Après le coup d’État d’Augusto Pinochet le 11 septembre 1973, les forces armées chiliennes ont mis sur pied une équipe spéciale connue sous le nom de “<em>Caravane de la mort</em>”. Elle a parcouru le nord du pays en détenant des prisonniers politiques pour les interroger et les torturer. Ceux-ci ont été la plupart du temps exécutés et enterrés dans des zones reculées, les familles ne sachant jamais ce qui leur est arrivé. <br /> Calama, Chili, février 2012.
Familles de disparus à Calama, au Chili, près d’une fosse commune où 26 prisonniers politiques ont été enterrés par les forces armées chiliennes. Après le coup d’État d’Augusto Pinochet le 11 septembre 1973, les forces armées chiliennes ont mis sur pied une équipe spéciale connue sous le nom de “Caravane de la mort”. Elle a parcouru le nord du pays en détenant des prisonniers politiques pour les interroger et les torturer. Ceux-ci ont été la plupart du temps exécutés et enterrés dans des zones reculées, les familles ne sachant jamais ce qui leur est arrivé.
Calama, Chili, février 2012.
©Joao Pina
Une autre école avait une énorme influence sur les militaires du Plan Condor : celle des nazis venus chercher refuge en Amérique du sud. Cet aspect de cette opération secrète a été amplement documenté, grâce au procès de Klaus Barbie qui a travaillé en étroite collaboration avec le régime du général Barrientos en Bolivie. Comme lui, Josef Mengele, « l’ange de la mort » s’est retrouvé au Brésil et Eduard Roschmann au Paraguay. Mais ils n’étaient pas les seuls, de nombreux anciens SS sont devenus des consultants des régimes militaires et des formateurs aux techniques de torture et de renseignement.

Il existe une troisième école tout aussi controversée mais beaucoup moins connue : la française. « L’implication de la France est nettement moins claire. Ce que l’on peut affirmer avec certitude c’est que des militaires ayant participé à la guerre d’Algérie se sont rendus en Argentine pour expliquer ce qu’ils avaient fait et comment ils l’avaient fait », explique le photographe qui s’est documenté pendant dix ans avant de pouvoir finir son livre en 2014 en portugais, en espagnol et en anglais. Le manque d’éléments peut être attribué au fait que de nombreux documents concernant la guerre d’Algérie restent classifiés.
Le capitaine « Curió » , le symbole du Plan Condor
« Certes, ces trois écoles étaient impliquées dans l’opération » poursuit-il, « mais il ne faut pas oublier que les militaires échangeaient entre eux. Dès 1972 [trois ans avant la mise en place du plan Condor] le capitaine brésilien « Curió » avait déjà maîtrisé l’art de mater les guérillas dans un milieu hostile comme la forêt amazonienne. Ce sont ces connaissances qu’il a transmises ».

Précisément, Sebastiao Rodrigues de Moura alias « Curió » est le seul militaire que João Pina a pu interviewer. Ses autres demandes ont été refusées. « Pendant la dictature, il travaillait dans les services de renseignements de la Présidence de la République puis dans ceux de l’armée : les SS brésiliens », peut-on lire.

Mirta Clara, ancienne prisonnière politique argentine. Madame Clara et son mari, tous deux membres du parti politique Montoneros, ont été arrêtés en novembre 1975. Elle sera libérée juste avant les premières élections démocratiques de 1983.
Mirta Clara, ancienne prisonnière politique argentine. Madame Clara et son mari, tous deux membres du parti politique Montoneros, ont été arrêtés en novembre 1975. Elle sera libérée juste avant les premières élections démocratiques de 1983.
©Joao Pina
La spécialité du capitaine « Curió » était la répression des guérillas et des mouvements de paysans. L’auteur explique que « dans le cadre de l’opération Condor il s’est rendu en Argentine pour former les militaires à ces techniques. Il s’est rendu également au Chili et en Uruguay pour montrer comment collecter des renseignements. Au Paraguay, il a encadré un transport d’armes pour soutenir la dictature de Stroessner qu’il a aidé à s’installer au Brésil bien après ».

« Curió », dont le récit clôt le livre, symbolise à lui tout seul l’ampleur et les mécanismes du Plan Condor. « Pour moi il était très important de parler avec un militaire d’abord en tant que journaliste car il faut toujours chercher la contradiction. Il était également important de savoir comment ils justifiaient leurs agissements. Curió, par exemple, pense que la population n’aurait pas dû être torturée », détaille ce globe-trotteur convaincu.

Les militaires sont présents autrement, à travers les photographies des procès judiciaires qui ont eu lieu dernièrement en Argentine, où 600 anciens militaires ont déjà été condamnés pour crimes contre l’humanité. Sous l’objectif de João Pina on découvre des vieillards qui se couvrent le visage, d’autres qui baissent la tête et fuient les regards.

Cet épisode de l’histoire contemporaine mondiale est donc marqué d’une certaine forme d’amnésie

Malgré l’ampleur du Plan Condor, la détresse des victimes et les nombreuses condamnations dans les pays impliqués, cet épisode de l’histoire semble méconnu. « Cet épisode de l’histoire contemporaine mondiale est donc marqué d’une certaine forme d’amnésie. C’est celle-ci que João Pina cherche à faire surgir au cœur de ce magnifique et pénétrant ouvrage photographique. […] Joao Pina compose une épitaphe sincère pour ces êtres dont la vie a été secrètement arrachée, dont on a fait disparaître le corps, et dont l’existence même a parfois été mise en doute », écrit en guise de préface une plume du New Yorker, John Lee Anderson.

« Dans de nombreux pays, comme la Bolivie, on manque de conscience et de moyens pour faire ce travail de mémoire, souvent promu par la société civile. C’est dommage car ce travail est essentiel pour se rendre compte que la violence et l’impunité qui ébranlent ces pays aujourd’hui sont un héritage de l’impunité qui a caractérisé ces dictatures », se désole le journalise.

Pis, au Brésil en 2016 de nombreuses casernes conservent les noms d’anciens dictateurs. « Dans les textes fournis aux militaires pendant leur formation on peut encore lire que le coup d’Etat de 1964 a été une révolution menée par les forces armées pour sauver le pays ». Ainsi, dans l’Etat de l’Amazonie, dans le nord du pays, l’Ecole de guerre de la jungle apprend aux militaires du monde entier, y compris aux  Français, comment se battre dans une jungle. « Ce sont des connaissances directement héritées de la dictature », rappelle le photographe.


Le photographe ne prétend pas faire ce travail de mémoire avec un seul livre, aussi puissant soit-il. Mais il souhaite ouvrir le débat, que les lecteurs s’emparent de cet œuvre et apprennent à connaître les victimes. « Quand un professeur d’histoire vient me voir pour me dire qu’il utilise mon livre pendant ses cours, c’est la meilleure récompense », sourit-il.

Primé à nombreuses reprises pour son travail, le photographe a été sélectionné par les Rencontres de la photographie d’Arles (4 juillet-25 septembre 2016 ) et fera l’objet d’une grande exposition : « Ce sera la première exposition de ces photos en dehors de l’Amérique latine. Je suis curieux de voir comment un public qui n’est pas du tout concerné peut réagir à ces photos. La première fois que j’ai présenté ce livre en espagnol, je l’ai fait en Colombie. Le pays n’a pas été touché par le Plan Condor et pourtant les gens me disaient que les mêmes horreurs se déroulaient à deux pas de chez eux dans un pays qui est en guerre depuis cinquante ans. Tout le monde peut être touché par ces histoires ».

Cette exposition sera sans doute un des temps forts des prestigieuses rencontres d’Arles. Effectivement, on ne peut pas rester de marbre face à ces destins brisés.
A TRAVERS LA PRESSE

Condor, le plan secret des dictatures sud-américaines
João Pina, Editions du sous-sol
49 euros, en libraires depuis le 23 juin

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