ARAKI


LA PHOTOGRAPHIE de A à Z,  LES GRANDS PHOTOGRAPHES

« Araki »

N’oubliez pas que je suis un génie "



A TRAVERS LA PRESSE- TELERAMA 



A près de 76 ans, Nobuyoshi Araki déborde de tous les cadres. Il est le plus prolifique et le plus connu des photographes contemporains japonais. Ses images de femmes nues ligotées, inscrites dans la tradition du kinbaku, ont provoqué le scandale et assuré en Occident sa notoriété.
La rétrospective aujourd'hui proposée à Guimet, permet, en plus de quatre cents images, de prendre la mesure de son œuvre : un immense et intense journal de bord, hanté d'un bout à l'autre par le sexe et la mort. Une autofiction humaine et urbaine, graphique et cinématographique, publiée sous la forme de livres et de photographies tous formats. Un génie provocateur de la photographie, un autre visage du Japon.
 D’origine modeste — son père fabriquait des getas, des socques traditionnelles en bois —, Araki était un gosse
     Son œuvre prolifique, compulsive s’éclaire quand on découvre le quartier de Shinjuku, au centre de Tokyo, son terrain de prédilection, comme une métaphore de la métropole. Araki a vu la ville de son enfance se métamor­phoser en un gigantesque Luna Park agglomérant les esthétiques et les technologies du monde entier. Buildings géants, enseignes publicitaires internationales s’accrochant au moindre espace disponible relèguent Times Square, le cœur commercial de New York, au rang de bourg provincial. Autrefois, Araki possédait un bar à karaoké au sommet de l’une de ces tours, où il venait chanter La Vie en rose. Désormais, il possède un bar huppé, Rouge, dans le sous-sol d’un fast-food. Son œuvre s’est elle aussi transformée. Relativement sobre à ses débuts, elle mêle aujourd’hui avec excès le noble et le trivial, les traditions ancestrales et l’art occidental. Comme Tokyo, Araki digère tout et en fait de l’Araki. Il s’est approprié l’instant décisif à la Cartier-Bresson, l’inventaire distancié sur le Paris en train de disparaître d’Eugène Atget, l’extrême raffinement des natures mortes d’Irving Penn… ainsi que le côté rentre-dedans de William Klein. Les admire-t-il ? « Non. Tous ont une immense faiblesse dont ils ne se sont jamais débar­rassés : l’élégance. Ils restent pudiques, ils pensent que certaines choses ne doivent pas être dévoilées. Moi, j’ai horreur de la perfection, je mélange le beau et le vulgaire, le sexe et la mort, le désir et la répulsion, et c’est pour cela que je suis très nettement au-dessus de tous les autres. »



Cinquante ans de création





Traversée de cinquante années de création, l’exposition s’ouvre sur une grande librairie de quatre cent soixante livres, la quasi-totalité des ouvrages d’Araki, avant de décliner ses obsessions du sexe et de la mort avec son « voyage sentimental », ses photos de fleurs et de corps féminins. Reconstitution de son atelier à Tokyo, pièce jonchée de polaroïds au sol pour matérialiser l’inimaginable prolifération de ses images… et une création, « Tokyo-Tombeau » – des photographies imprimées sur des rouleaux traditionnels par l’artiste – composent cette rétrospective. « Araki suscite beaucoup de malentendus, rappelle Jérôme Neutres, commissaire de la manifestation. Guimet et ses collections vont révéler une œuvre qui surprendra par sa finesse et sa profondeur même ceux qui pensent la connaître. » Bonne idée, aussi, du musée Guimet que d’exposer à côté d’Araki des photographies érotiques japonaises du XIXe siècle.exceptionnellement doué. Après des études universitaires en ­cinéma, il travaille comme cameraman à l’agence de publicité Genzu. Influencé par l’éphémère revue japonaise antiaméricaine Provoke , dans les années 1950, il imprime vingt-cinq recueils de ses photos sur la photocopieuse couleur Xerox de son entreprise, qu’il distribue à ses collègues, ses amis et à des habitants de Tokyo choisis au hasard dans l’annuaire. Le volume 24 est composé de soixante-dix ­portraits d’anonymes pris lors de l’exposition universelle d’Osaka le 15 août 1970, jour du 25e anniversaire du bombardement de Nagasaki, un sujet qui va devenir récurrent dans son travail. Il a 5 ans lorsque Tokyo est bombardée par les B-29 américains : un carnage, avec près de cent mille morts. « Je me rappelle dans le ciel un rouge qui embrasait tout l’horizon. C’est devenu ma couleur favorite. » Plus tard, il produira des clichés bouleversants en simulant les effets dévastateurs de la chaleur et des radiations sur la population juste après la déflagration, en brûlant dans les bains chimiques de sa chambre noire de banales vues de passants dans les rues de Tokyo. A propos, quand a-t-il commencé la photo ? « Le jour de ma naissance, en sortant du vagin de ma mère, je me suis retourné et j’ai pris mon premier cliché. »


     Mais c’est en 1971, lors de son voyage de noce sur une île de l’archipel nippon avec Yōko, qu’il devient Araki en écrivant les premières pages de son journal photographique. Il prend tout ce qu’il voit, tout ce qu’il vit, tout ce qui a un sens pour raconter le monde à travers lui. Lors de ce périple fondateur de l’œuvre à venir, baptisé « le voyage sentimental », il saisit l’intérieur des ryokans, les auberges traditionnelles aux panneaux coulissants, les repas, les balades, Yōko en train de jouir sur un futon alors qu’ils font l’amour. Le livre fait scandale au Japon. D’autres suivront. Araki sera cen­suré ; son appartement, perquisitionné. Ayant l’interdiction de montrer des poils pubiens, il leur donne l’apparence de troncs d’arbre en les observant à travers un microscope. Ses images de nus et de bondage ont été publiées dans des revues sado-masochistes, vendues dans des sex-shops de Pigalle dans les années 1980. Ce qui reste ­assez étonnant, car ces clichés sont d’un érotisme très « arakien ». Les modèles nus ou en kimono affichent un calme, une ironie parfois, un détachement et, bien souvent, une froideur de dalle mortuaire. Même ses femmes ligotées, les jambes écartées, le sexe ouvert, souvent accrochées à une branche d’arbre ou au plafond d’un intérieur traditionnel, évoquent des natures mortes, des vanités, des scènes quasi abstraites. L’impression d’un temps long et suspendu pèse sur l’image plus que ce que l’on y voit. En revanche, le photographe a l’art de prendre verticalement en gros plan les pistils d’une fleur, en donnant l’impression d’être un voyeur le nez collé à un vagin. Ou de figurer la vieillesse, le flétrissement des chairs à travers une tige, des pétales fanés ou une assiette de nourriture. Les infinies variations du Japonais sur le sexe et la mort, ses deux obsessions, sont d’une subtilité défiant l’imagination.

      « Rien de plus facile ! Ils sont tous bons. N’oubliez pas que je suis un génie. Le musée Guimet va présenter de très bonnes photos, mais reconnaissez que c’était facile. »


Araki photographie comme il respire. Pendant la traduction de ses propos, il regarde à droite, à gauche, et clic, et clac, engrange dans son Instamatic des images inattendues du plafond ou de notre bloc-notes. Si un jour il oubliait de s’habiller, dit-il souvent, il aurait forcément son appareil photo autour du cou. Il ne le quitte jamais, ni au lit ni à table. Ses sujets favoris, outre le sexe ? Bien avant Internet et les ­réseaux sociaux, il a multiplié, en précurseur, les portraits de chats et de plats cuisinés. Le genre de clichés qui prolifèrent désormais sur Facebook, Instagram et Twitter. Ce photomaniaque n’a aucun tabou : il choque son pays en immortalisant sa femme dans son cercueil. Il a aussi saisi le cadavre de sa mère, puis ses os après la crémation. Araki attrape tout ce qui passe à la portée de son objectif : les rues de Tokyo, les passants anonymes, les compteurs à gaz, le ciel… Ses émotions face à n’importe qui ou n’importe quoi. En cinquante ans, il a publié près de cinq cents livres, comme autant de volumes de son journal intime, du fanzine à des ouvrages d’une dizaine de kilos. Avec un sens de l’édition époustouflant. Graphisme, mise en page, rythme, images-gimmicks réapparaissant de livre en livre éblouissent les bibliophiles. Comment sélectionne-t-il les clichés qu’il produit par dizaines de milliers ?


  Pas sûr pourtant que le succès soit au rendez-vous. Ses images de femmes nues ligotées et accrochées au plafond comme des jambons de Bayonne choquent les consciences occidentales, car estimées humiliantes, vulgaires. Une incarnation de vils fantasmes masculins rêvant les femmes en marchandises. Araki a commencé à pratiquer le bondage dans les années 1970. « Un jour, une amante a voulu me quitter et je n’ai eu d’autre choix que de la ligoter pour l’empêcher de partir… Mais je peux également vous donner une autre version : pour moi, c’est un geste de tendresse, comme une ­caresse. Jamais je n’impose le kinbaku : je n’ai jamais payé un modèle. Ce sont les femmes qui me demandent de les attacher, et encore récemment, un mannequin de chez Chanel et Lady Gaga. J’ajoute que vous pourriez m’interroger des heures et des heures, vous n’en sauriez pas plus sur mon travail. Je ­n’arrête pas de mentir. Si vous voulez comprendre ce que je fais, c’est simple, regardez mes photos. »



Traversée de cinquante années de création, l’exposition s’ouvre sur une grande librairie de quatre cent soixante livres, la quasi-totalité des ouvrages d’Araki, avant de décliner ses obsessions du sexe et de la mort avec son « voyage sentimental », ses photos de fleurs et de corps féminins. Reconstitution de son atelier à Tokyo, pièce jonchée de polaroïds au sol pour matérialiser l’inimaginable prolifération de ses images… et une création, « Tokyo-Tombeau » – des photographies imprimées sur des rouleaux traditionnels par l’artiste – composent cette rétrospective. « Araki suscite beaucoup de malentendus, rappelle Jérôme Neutres, commissaire de la manifestation. Guimet et ses collections vont révéler une œuvre qui surprendra par sa finesse et sa profondeur même ceux qui pensent la connaître. » Bonne idée, aussi, du musée Guimet que d’exposer à côté d’Araki des photographies érotiques japonaises du XIXe siècle.


 le photographe Nobuyoshi Araki, obsédé par le sexe

et la mort, qui mêle le beau et le vulgaire  ne craint pas le scandale.

Est-il heureux de cette première organisée par le musée Guimet ? La réponse tombe comme une évidence, sans agressi­vité : « C’est vous qui devriez être fiers de m’accueillir. La photographie a été inventée en France, mais aujourd’hui votre pays est dépassé. Récemment, nous avons fait appel à l’un de vos compatriotes, un directeur de musée, pour départager les lauréats du concours ­Canon New Cosmos of Photography et, quand j’ai vu ce qu’il avait sélectionné — le cliché d’une lune projetée sur un lac ! —, j’ai compris pourquoi vous avez perdu la première place. ­Paris m’a choisi, et moi je dis : bien joué, Paris "




 

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