DAVID GOLDBLADTT




HOMMAGE


Le photographe David Goldblatt est mort
25.06.2018


David Goldblatt en 2011 devant son travail exposé à la Fondation Cartier Bresson.• Crédits : François Guillot - AFP




A TRAVERS LA PRESSE

Par Chloé Leprince

Disparition | A 88 ans,
David Goldblatt a documenté d'un œil engagé et obstiné 70 ans d'histoire de l'Afrique du Sud, où il était encore adolescent lorsque l'apartheid fut instauré, en 1948.

“Une complexité modeste et secrète”, c'était ce à quoi aspirait dans sa pratique de la photographie David Goldblatt, dont on a appris la mort ce 25 juin à 88 ans. L'expression est en réalité de Jorge Luis Borges au sujet de l'écriture, mais elle a structuré près de 70 années de travail du photographe sud-africain et c'est par ces mots que démarrait la rétrospective que lui consacrait le Centre Pompidou en ce début d'année.
Du mois de février jusqu'au 13 mai, le public avait pu (re)découvrir l’œuvre du photographe, l’œil singulier et engagé de Goldblatt sur l'histoire de l'apartheid. Né en 1930 en Afrique du Sud, il n'a eu de cesse de sillonner son pays pour en raconter à l'image les lignes de fracture et les déchirures. De ce travail, le photographe disait qu'il l'avait mené d'autant plus librement qu'il s'était trouvé, lui, un Blanc, à raconter le monde des Noirs séparés, humiliés.

Issu d'une famille émigrée dont les racines creusaient du côté de la Lituanie et de la Lettonie, Goldblatt était adolescent lorsque l'apartheid sera installé en Afrique du Sud, en 1948, à la faveur de l'arrivée au pouvoir du Parti national. Il se souvenait avoir immédiatement pris la mesure de l'infamie, et décidé de raconter ce qu'il appellera "cette matrice grise, qui entravait tous les aspects de l’existence". Mais sans concevoir son objectif comme "une arme" pour autant, précisait le photographe, surlignant l'indépendance de sa démarche.

Invité le 21 février 2018 de l'émission "La Grande table", il précisait même se départir autant de l'étiquette d'"artiste", que du label "documentaire", souvent accolés à sa photographie. Et l'on entendait dans cet entretien son besoin de se passer de cadre, et sans doute de mots :

    Mon travail n'est pas de l'art, ni du documentaire. Je considère mon travail comme de la photo. Certes, c'est une forme d'art, au même titre que la peinture ou les déjections d'éléphants.


en savoir plus  L'Afrique du Sud en noir et blanc de David Goldblatt

Pour cette première grande rétrospective qui lui était consacrée en France, quelques semaines finalement avant qu'il meure, Goldblatt avait réalisé lui-même une série de vidéos détaillant sa démarche de "complexité toute simple", à mi-chemin entre professions de foi et petit précis de l'histoire de la photographie sud-africaine (nombreuse et féconde). Goldblatt avait à cœur d'évoquer lui-même et avec précision son travail, comme il l'avait fait par exemple en 2011 au micro de France Culture, déjà dans "La Grande table".
Écouter
Entretien avec David Goldblatt

Il racontait alors, ce 19 janvier 2011, comment il avait entamé une "nouvelle phase professionnelle" : il redécouvrait la photographie couleur après l'avoir considéré durant plusieurs décennies comme trop "doucereuse". Même s'il lui était arrivé d'utiliser la couleur dans le cadre de commandes pour la presse magazine ou des entreprises, il ne s'en était jamais emparé jusque-là dans le cadre de son travail personnel. Et puis la fin de l'apartheid [en 1994] et ce qu'il dépeignait comme "un désir de faire bouger les lignes, d'être plus expansif" à la faveur de l'arrivée du numérique, l'avaient amené progressivement à s'emparer de ces couleurs désaturées.


Première grande rétrospective française du photographe sud-africain ou l’usage de l’image comme bilan méditatif prime sur sa force persuasive.

5 h 40 du matin: à l'arrivée au terminal de Marabastad à Pretoria, de nombreux passagers du Wolwekraal bus convregent avec d'autres pour attendre les bus locaux qui les emmèneront travailler dans les banlieues et les zones industrielles de la ville • Crédits : David Golblatt


Comment trouver le langage photographique capable de rendre la complexité et les contradictions qui traversent l’Afrique du Sud, démocratie récente et fragile, qui aura 25 ans au moment des prochaines élections générales en 2019 ? Avec la première grande rétrospective française du photographe sud-africain David Goldblatt au Centre Pompidou, c’est l’usage de l’image non comme une vérité de l’instant, mais comme un bilan méditatif qui prime.

D’abord, conscient que la photo est résultat d’une abstraction de la réalité, forcément influencée par celui ou celle qui l’a produite, sans compter ceux qui l’utilisent, David Goldblatt assure lui-même le travail de contextualisation. Il signe les légendes, les textes d’introduction et le commentaire vidéo de ses images, pour faire part de l’analyse et des recherches qui ont conduit ses choix. Dés lors, la photo se présente comme déclencheur de réflexion et pas comme arme persuasive. À l'heure de la grande manipulation des images et des "fake" qui pullulent cela a son importance.

À ce titre la grande idée de Goldblatt va être de s’intéresser aux structures. « Les constructions, les routes, les monuments, disent les nécessités, les préférences, les impératifs et les valeurs de ceux qui les ont construites et les utilisent » écrit-il.  Dans une photographie de 2016 : une passerelle enjambant une voie ferrée qui relie le Cap à Johannesburg, nous sommes dans une petite province d’environ 1500 habitants maximum, pourtant la photo présente un grand escalier à double file. En réalité l’une pour était pour les "blancs", l’autre pour les "non blancs", conformément à la loi sur les équipements publics séparés de 1953. L’apartheid n’existe plus, les panneaux indiquant les files séparées ont été retirés vers 1992, mais la structure demeure… Autre exemple, ces images de travailleurs noirs qui partent chaque jour de chez eux à 2 heures du matin pour aller travailler dans la ville blanche de Pretoria où ils n’ont pas le droit de résider. 4 heures de voyage à l’aller, et la même chose au retour. Les images datent de 1982, Goldblatt saisit l’épuisement, et à l’intérieur des bus les corps endormis sous les couvertures. 30 ans plus tard, en 2012, le photographe montre les images de la même route, on y voit des files de bus qui continuent de transporter les travailleurs noirs vers les blancs.

Stigmates de la domination, persistance des injustices, et radiographie des changements permettent de mettre en valeur ce que Goldblatt appelle « l’essentiel des choses », le noyau révélateur d’une démocratie précaire. Ici c’est la photo en 2009 d’un centre commercial de Soweto baptisé « Maponya Mall » du nom de ce commerçant noir qui aura réussi à faire fortune malgré les restrictions commerciales ségrégationnistes. Espoir de libération qui se traduit par le choix de la couleur. Là au contraire, ce sera l’image en noir et blanc des tensions post-apartheid, avec une foule étudiante de bras levés armés de portables et de tablettes pour saisir le déboulonnage de la statue de Cecil Rhodes, ancien colonisateur britannique. Nous sommes en 2015 et Goldblatt photographie dans une série sombre la révolte étudiante contre l’art colonial qui conduit à des renversements symboliques, mais aussi à des censures aveugles comme l’incendie de peintures et de photographies de Molly Blackburn, qui était pourtant une des grandes figures blanches de la lutte anti-apartheid. La difficulté à construire aujourd’hui une Histoire commune se dresse, enfin, dans une série de monuments ratés, et très révélateurs par leurs diverses défaillances.

Aussi la force de cette rétrospective est de mettre toujours le regardeur dans la position de l’enquêteur, pour tenter de comprendre à travers ces structures les enjeux de la démocratie sud africaine. Et au-delà de l’Afrique du sud, comment ces structures pourraient elles aussi être interrogées ailleurs (en France par exemple) pour dire l’état de santé d’une démocratie.

Exposition David Goldblatt au Centre Pompidou à Paris jusqu'au 13 mai.   www.centrepompidou.fr.


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