LIP des héros ordidaires



  Bande  Dessinée
 
 Lip, des héros ordinaires

Laurent GALANDON
 les salariés de LIP,  d'avril 73 à mars 74 se sont battus contre les licenciements et le démantèlement de leur entreprise.

IL N Y A PAS QUE LA PHOTO DANS LA VIE




Laurent Galandon a fait paraître le 21 mars chez Dargaud une BD intitulée (dessins de Damien Vidal)





à travers la presse 


source :LibérationCulture


Bien mené, ce roman graphique revient sur une lutte mythique de 1973.Bien mené, ce roman graphique revient sur une lutte mythique de 1973. (Photo Dargaud )
L'auteurQuentin GIRARD

Les crises du capitalisme s’enchaînent et se ressemblent. Besançon, avril 1973. La marque horlogère Lip, dont les origines de la création remontent aux années 1860, est en danger de mort. Ses actionnaires principaux, des Suisses, veulent licencier à tout va alors que l’entreprise se porte bien. Les rumeurs vont bon train : le PDG aurait démissionné, le bilan serait bientôt déposé. «Cette boîte est un véritable repaire de gauchistes» à en croire certains. S’il n’y avait pas «sans arrêt des grèves et des revendications», peut-être que cela ne se serait pas passé ainsi. Solange, embauchée depuis un an à la chaîne, n’a pourtant pas «l’impression d’être trop payée». Elle est l’héroïne principale de Lip, des héros ordinaires, une bande dessinée de Laurent Galandon (scénario) et Damien Vidal (illustrations) chez Dargaud.

Emmerdeurs. Dans un roman graphique bien mené, les deux auteurs racontent ce combat emblématique. Car les 1 300 «Lip», face aux menaces de licenciements, ont décidé de ne pas se laisser faire. Leur histoire est même un véritable manuel de résistance face à des actionnaires pourris. En cela, comme le souligne Claude Neuschwander, PDG de 1974 à 1976 lors de la tentative de reconstruction, dans la postface de la BD, «Lip n’est pas devenue une chose dépassée en quarante ans ; Lip reste une réalité bien vivante, en plein dans l’actualité» - il cite Florange. Et sur quoi va déboucher cette résistance face aux actionnaires ? Au bout d’un an de lutte acharnée, tous les salariés qui le voulaient seront réembauchés.

Mode d’emploi : en premier lieu, être solidaire à tous les niveaux. Des AG, encore des AG, des discussions à n’en plus finir. Puis, gagner les faveurs de l’opinion. Ce n’est pas forcément évident. Après tout, ce sont des emmerdeurs ces ouvriers. Ils devraient se plier à la réalité du marché, grandir un peu. Et le gouvernement, Pierre Messmer en tête, n’est pas vraiment de leur côté.

L’usine se transforme peu à peu en galerie d’art, les manifestations se multiplient. Prenant sur leurs congés et temps de travail, les employés de Lip tractent tous azimuts. A Besançon, mais aussi partout en France. Pour sensibiliser, expliquer, séduire. Solange, comme d’autres, pas engagée politiquement au départ, comprend qu’il ne s’agit pas juste de garder son emploi. C’est aussi une manière de voir le monde : dans quelle société veut-on vivre ?

Grâce à des documents récupérés dans les bureaux des patrons, les résistants découvrent les véritables motivations des actionnaires. Ils comprennent qu’ils sont «à dégager», «à larguer». Les Suisses n’ont jamais voulu trouver de solutions, malgré les médiateurs nommés. Ils prévoient au contraire «la création d’une nouvelle entreprise sur des bases sociales nettement revues à la baisse pour les travailleurs».

Fierté. Face à cela, les Lip décident de s’emparer des outils de production. En toute illégalité mais en toute fierté, ils se mettent à vendre des montres à prix d’usine. On vient de partout pour en acheter. Autogérés, ils arrivent à se verser des salaires. Une partie de la presse se met à les soutenir activement. Libération, qui vient juste de se créer, leur consacre de nombreux articles. Le journal parle de «la république des Lip». Après un an de combat, en mars 1974, l’activité finalement reprend. Mais la victoire est précaire : trois ans plus tard, Lip est définitivement fermée. En 2014, Claude Neuschwander estime que «le patronat et le gouvernement […] ont considéré qu’il convenait de démolir Lip, devenue le symbole d’une lutte ouvrière victorieuse».
Quentin GIRARD

Lip, des héros ordinaires de Laurent Galandon et Damien Vidal éd. Dargaud, 176 pp., 19,99 €.

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