PETER LINDBERGH

   


HOMMAGE



Le photographe allemand Peter Lindbergh, le 20 septembre 2016, à Londres, présentant son livre « A    Different Vision on Fashion Photography ». FRAZER HARRISON / AFP



Peter Lindbergh : « Mon grand sujet était les femmes, les suivre au plus près afin qu’elles s’expriment, affirment leur vérité »



« Le Monde » avait rencontré en 2010 le photographe allemand, alors que deux expositions retraçaient trente ans de ses œuvres. Connu pour ses clichés de stars et de mannequins, il est mort mercredi 4 septembre 2019, à l’âge de 74 ans.
Propos recueillis par Annick Cojean Publié le 04 septembre 2019 à 17h39 - Mis à jour le 04 septembre 2019 à 17h55
Archive. Le Monde Magazine publiait, le 18 septembre 2010, cet entretien du photographe Peter Lindbergh par la journaliste Annick Cojean dans le cadre de la rubrique « Je ne serais pas arrivé là si… ». Connu pour ses clichés en noir et blanc de stars et de mannequins, le photographe allemand est mort mercredi 4 septembre 2019, à l’âge de 74 ans.


Je ne serais pas arrivé là si… je n’avais découvert et pratiqué la méditation transcendantale pendant plus de trente ans. J’y ai puisé ma force, ma confiance, ma vérité. Cela m’a construit et permis d’avancer. Cela m’a donné un socle, à partir duquel je pouvais partir, rêver, créer. Quelle richesse ! J’ai vu tant de gens s’étourdir et se disperser, rechercher désespérément quelque chose à laquelle s’arrimer, alors que ce n’est pas au dehors que réside la matrice pour vivre, mais en soi ! Vingt minutes de méditation le matin, vingt minutes le soir. Pour faire le vide et se retrouver face à soi-même. La source est là.
Diriez-vous que cela explique cette voie si personnelle que vous avez suivie dans le monde de la photographie ?
Certainement ! La méditation fut mon fabuleux atout. Elle me permettait d’avoir accès à moi-même et de ressentir une sorte de complétude. De là sortaient les idées, les envies, les audaces. Avec la sensation que chaque projet dans lequel je me lançais était une part de moi. Que je pouvais m’engager à fond. Et que ce réservoir de créativité était infini. C’est ainsi que j’ai pu creuser mon sillon dans la photo de mode, qui brille souvent par son manque d’originalité et où les photographes, dénués d’idées, reproduisent à l’infini ce qu’ils ont picoré dans une poignée de magazines.
Pourquoi ce choix de la photo de mode, un univers d’apparence tellement superficielle ?
Mais voyons, ce n’était pas la mode qui m’intéressait ! Ni le clinquant de cet univers, encore moins ses mondanités. La mode était comme un sponsor me permettant de faire des images. Rien qu’un prétexte !
Un prétexte ? Mais que cherchiez-vous ?
Mon grand sujet était les femmes. Et je voulais documenter ce sujet. Suivre les femmes au plus près afin qu’elles s’expriment, affirment leur vérité. Je me moque du vêtement, je ne m’intéresse qu’à la personne qui le porte et que j’ai envie de démasquer en lui donnant pleine liberté. Je traque un mystère, je cherche une émotion. La beauté ? Ce n’est pas une question de géométrie, de classicisme ou de perfection. La beauté vient d’un caractère fort, des questions ou du trouble que fait naître un regard, pourquoi pas des rides et de l’expérience que reflète un visage.
N’exige-t-on pas des mannequins une sorte de perfection physique ?
La photo numérique et les possibilités de retouche facilitent l’illusion de perfection. C’est navrant. On déshumanise les femmes en les privant de leur identité, de leur vie. Moi, j’ai toujours été attiré par les femmes qui avaient une identité très forte et auxquelles je donnais pleine liberté. C’était une petite révolution à l’époque où les mannequins devaient être lisses, parfaites, interchangeables. Le Vogue anglais, en 1988, avait même été totalement désemparé devant une série de photos que j’avais faite de six femmes naturelles et joyeuses, en chemises blanches, sur la plage de Santa Monica. Il a fallu l’arrivée d’une nouvelle rédactrice en chef, Anna Wintour, pour que l’on me confie la couverture du magazine américain et qu’on rompe avec la tradition des mannequins ennuyeux à mourir !
On connaît peu de vos photos d’hommes.
Il y en a ! Mais comment dire ? Les femmes m’intéressent davantage. Plus de mystère, plus de trouble, plus de découverte. C’est le sexe opposé, l’attirance est donc normale. Mais au-delà de ça, il se trouve que je les admire. Que je les trouve plus courageuses, plus engagées, plus dignes que les hommes. Je connais beaucoup d’hommes moyens. Mais quantité de femmes magnifiques.
Ce métier était-il un rêve d’enfant ?
Oh non ! J’ai été élevé à la fin de la guerre, dans la Ruhr, et il n’y avait rien d’artistique ou de glamour dans cet environnement sévère, âpre et pauvre. Ni galerie ni musée. Juste quelques vitrines de magasins pour incarner le rêve. Alors je me rêvais étalagiste.
« Photographs and films, 1980-2010 », au Musée C/O de Berlin, du 25 septembre 2010 au 9 janvier 2011 ; « La Vie en face », Galerie Polka, à Paris, jusqu’au 10 novembre 2010.

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