HERVÉ GUIBERT




 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

LA PHOTOGRAPHIE de A à Z,  LES GRANDS PHOTOGRAPHES


HERVÉ GUIBERT

PHOTOGRAPHE

"JE ME DÉFENDRAI TOUJOURS D'ÊTRE UN PHOTOGRAPHE: CETTE ATTRACTION ME FAIT PEUR, IL ME SEMBLE QU'ELLE PEUT VITE TOURNER À LA FOLIE, CAR TOUT EST PHOTOGRAPHIABLE, TOUT EST INTERRESSANT À PHOTOGRAPHIER, ET D'UNE JOURNÉE DE SA VIE ON POURRAIT DÉCOUPER DES MILLIERS D'INSTANTS, DES MILLIERS DE PETITES SURFACES, ET SI L'ON COMMENCE POURQUOI S'ARRÊTER?"

 

"LA PHOTO QU'UN AUTRE QUE MOI POURRAIT FAIRE, QUI NE TIENT PAS AU RAPPORT PARTICULIER QUE J'AI AVEC TEL OU TEL, JE NE VEUX PAS LA FAIRE"

"J'AIME DANS LE TRAVAIL LE MOMENT OÙ IL DÉCOLLE IMPERCEPTIBLEMENT VERS LA FICTION APRÈS AVOIR PRIS SON ÉLAN SUR LA PISTE DE LA VÉRACITÉ "





Hervé Guibert (Saint-Cloud, 14 décembre 1955 - Clamart, 27 décembre 1991) est un écrivain et journaliste français. Son rapport à l'écriture se nourrit pour l'essentiel d'autobiographie et d'autofiction. Il est également reconnu comme photographe et pour ses écrits sur la photographie


Hervé Guibert découvre tôt la photographie . Son père, avide de composer une iconographie de la mémoire familiale, possède un Zeiss Ikon, puis un Rollei 35 et, plus tard, une camera 16mm Paillard.La photographie est immédiatement présente pour le jeune Hervé, mème si elle n'a pas de visée artistique mais uniquement mnémonique.Ses critiques pour Le Monde le mèneront à élaborer un discours, à préciser sa perception de la photographie et son intention de photographe .Au delà d'une technique acquise durant l'adolescence puis dans l'analyse d'oeuvres photographiques, qu'est-ce pourHervé Guibert qu'une bonne photographie?Ce ne saurait être une photographie techniquement correcte.Il écrit qu'une bonne photo est une photo "fidèle au souvenir de l'émotion" éprouvée à l'instant du déclenchement de l'appareil, ou encore:"les photos que je trouve bonnes , moi, sont toujours des photos loupées, floues ou mal cadrées, prises par des enfants, et qui rejoignent ainsi , malgré elles, le code vicié d'une esthétique photographique décalée du réel"Mais  Guibert sait aussi que si un cliché peut être fidèle à l'émotion du photographe, la gageure est de la transmettre au spectateur, absent de la scène et à priori indifférent. 

extrait de HERVÉ GUIBERT 
PHOTOGRAPHE
ÉDITION GALLIMARD 


C'est lorsque paraît  Le Seul Visage, EN 1984 qu'Hervé Guibert se dévoile photographe aux yeux du grand public, bien qu'il semble ne pas se sentir tout à fait légitime:(...)Hervé Guibert  maitrisait la technique photographique-nous y reviendrons-et ne remet d'ailleurs pas en question son aptitude à prendre une photo correcte , mais il ne sait que trop bien, pour avoir confronté son regard critique à l'oeuvre de photographes majeurs, combien une photo correcte n'est pas nécessairement une photo valable.Lorsqu'il préface Le seul Visage, Guibert nous prévient : s'il a comme l'amateur, l'intention sincère de photographier le reel, il possède aussi, et dans le même temps, uns conscience éclairée du leurre qu'est la photographie, de l'impossibilité de saisir justement l'instant.Il est lucide et exigeant quant au sujet qu'il photographie, à son intention de photographier et à l'illusion à laquelle se prêtent ensemble le photographe, le photographié et, plus tard le spectateur de la photographie. Cet avertissement d'Hervé Guibert est d'autant plus précieux qu'il offre une clé de lecture de sa photographie et nous invite aussi à la mettre en perspective avec sa vie et son oeuvre littéraire, toutes trois inextricablement liées. À qui ne connaît ni l'homme ni l'écrivain, les photographies d'Hervé Guibert pourront sembler froides et esthétiques, parfois impénétrables.À la lumière de ses textes ( l'écriture bcomme bain révélateur?), elles apparaissent cohérentes, émouvantes et tragiques.
extrait de L'IMPOSSIBLE PHOTOGRAPHIQUE 
par Jean-Baptiste Del Amo
Hervé Guibert

Hervé Guibert a commencé à photographier en 1972, à 17 ans, avec un petit Rollei 35 offert par son père, et qu'il gardera toute sa vie. En même temps, il écrivait. Son deuxième livre publié a été un "roman-photo", Suzanne et Louise. Il y mêlait textes et photos de ses grand-tantes; il racontait ses relations avec elles et les photos étaient l'occasion de jeux étranges et amoureux, la liberté de la vieillesse et de l'enfance se rejoignaient. Le seul visage, paru en 1984, fait de photos, se présente comme un roman. (Un livre avec des figures et des lieux, n'est-ce pas un roman?).
En 1977, après avoir fait des critiques de cinéma pour plusieurs revues, il entre au journal Le Monde où on lui confie la critique photographique. C'est le début de la grande expansion de la photographie et il fait partie de cette génération de jeunes critiques qui découvrent la photographie en même temps que le public. Ignorant aussi bien l'histoire de la photo que sa pratique, plus facilement proche des jeunes artistes que des grands maîtres qui l'intimident, il est semblable au public, mais un public idéal, sensible, intelligent, assidu, et comme lui, souvent séduit, jamais gagné; il ne se place ni en juge ni en professeur, mais donne une réponse personnelle, injuste quelquefois, mais réelle. Il ne milite pas, reste réservé et indépendant mais il voit. Comme il écrit très bien, qu'il est toujours "intéressant", il est très lu. Son indifférence blesse, ses louanges ravissent, ses coups de griffe laissent des cicatrices; ses lecteurs, de tous bords, se mettent à penser que la photographie est "intéressante", qu'elle mérite toute notre attention. Si en France le monde de la littérature et du cinéma comprend mieux la photographie que le monde des arts plastiques, c'est beaucoup grâce à lui. Mais ses critiques de photo et de cinéma sont un apprentissage et très vite, le temps presse, il prend dans les galeries la place du photographe et tente de faire des films.
Ses photographies, d'emblée différentes, comme un journal, accompagnant et nourrissant l'écriture, font partie des "Aventures d'Hervé Guibert". Photos exquises, fraîches, clairvoyantes. Morbides? Non, plutôt des moments d'acquiescement. C'est de Kertesz qu'on pourrait le rapprocher. Elles ont l'élégance absolue de l'intelligence et du naturel. Ses livres sont quelquefois cruels et agressifs, mais l'écriture était l'arme de son affirmation sociale, l'expression de sa virilité. Si ses photos sont plutôt tendres, c'est sans doute que prendre des photos est une virilité en soi.
Il écrivait comme on photographie : comme un photographe recueille des instants de réel et, sur sa planche-contact, fait le seul choix nécessaire à son propos, abandonnant ce qui lui est maintenant inutile, Hervé Guibert prenait dans la vie, sans pitié mais non sans amour, les instants de réel nécessaires à la création de sa fiction. Ses amis acceptaient le risque aveugle de devenir ses personnages, bien sûr jamais comme ils l'auraient attendu.
Les photographies, c'est le corps des autres, qui résiste à la manipulation de l'artiste, et de la qualité de ce corps à corps naissent les grandes photos et leur pouvoir de fascination. Hervé Guibert, qui croit plus avisé de ne s'intéresser qu'à soi, devient si brave, armé de son appareil, que ses portraits dévoilent la nature secrète de ses modèles, avec une magie qui n'appartient qu'à lui. Qu'il écrive, qu'il photographie, qu'il filme, tout est transparent devant lui et cela donne un étrange et excitant bonheur.
Ses outils étaient simples, un Rollei 35, un Mont-Blanc, une vieille machine à écrire, une caméra vidéo 8, mais surtout sa vie, délibérément, savamment brûlée. Et pour longtemps, pour nous nourrir, nous héritons de cette œuvre intense, sublimation poétique du désir et de la tâche de vivre, les années 1970-80 à Paris.
agathe gaillard

Autoportrait vers 1976



Rue du Moulin-vert , 1982

L'iroquois, 1989
Le panier de fraises, Santa Caterina, 1990



La machine à écrire , 1982

Le martyre de saint Tarcisius, 1990


Gorka, 1981


Le message incompréhensible, 1990

Autoportrait, 1985



Autoportrait avec Ali Baba, 1986

La bibliothèque, 1987

Villa Médicis, 1988


Autoportrait, 1988

Autoportrait, 1988

Le chat, Villa Médicis, 1988

La tête de Jeanne d'Arc, 1982

Le départ, Santa Caterina, 1982


Les billes, 1983

Vincent, 1983

Eugène , 1983

La main de l'aveugle, 1983

Les lettres de Mathieu, 1984

Cabourg, 1984

Vertiges, rue du Moulin-vert, 1984


Isabelle Adjani, jardin des plantes , Paris 1980 

Sienne ,1979

L'ami 1979

La sacristie, Santa Caterina, 1980
Michel Foucault, 1981

Suzanne et Louise, 1979


Autoportrait avec Suzanne et Louise 1979-1980
Édition Gallimard , 35 euros

la MEP, a organisé en 2011
la première rétrospective en France de l'oeuvre photographique d'Hervé Guibert, cette exposition regroupe quelques 230 tirages, provenant en grande partie des collections de la Mep


À sa mort, le 27 décembre 1991, Hervé Guibert était salué comme le jeune écrivain libre et flamboyant que son livre «A l’ami qui ne m’a pas sauvé la vie» venait de rendre célèbre. On indiquait aussi qu’Hervé Guibert laissait une oeuvre de photographe reconnue et publiée. Ecrivain, photographe, il était les deux, totalement, auteur à double titre.
Sa passion pour l’image, Hervé Guibert l’exprimait dès l’âge de dix-huit ans dans Combat, Had, 20 ans, Cinéma, Les Nouvelles littéraires qui ouvraient leurs colonnes à ses critiques de film. Son style neuf, l’acuité de ses analyses lui valent en 1977 de commencer une collaboration au Monde qui publiera ses chroniques sur l’actualité photographique et culturelle jusqu’en 1985. La Villa Médicis qui l’accueille en 1987 comme pensionnaire lui permettra enfin de consacrer deux pleines années à son travail personnel d’écrivain et de photographe.
Au rayon littérature, Hervé Guibert verra la parution de vingt-et-un essais et romans quand deux publications seulement diffuseront ses images : Suzanne et Louise, roman-photo édité en 1980 pour l’exposition à la galerie Samia Saouma, et aux éditions de Minuit, Le Seul Visage, catalogue de sa rétrospective de 1984 à la galerie Agathe Gaillard. La première monographie d’Hervé Guibert sera posthume. Publiée en 1993 aux éditions Gallimard, elle confirmera que s’il était discret, le photographe n’était pas moins inspiré que l’écrivain.
Construite de chambres, ponctuée d’escales, habitée d’êtres aimés, l’oeuvre intégralement réalisée avec le petit appareil Rollei 35 donné par un père à son fils franchit sans effort le passage de l’intime à l’universel, aux heures lumineuses des rencontres et des voyages comme aux derniers mois consumés par le sida. Cependant, la photographie invente chez Hervé Guibert une ligne narrative plus intime qu’autobiographique, laissant au stylo Montblanc ou à la vieille machine à écrire Royal, figurants intelligents de plusieurs images, le soin de prendre les notes d’un éventuel journal. Entre les objets intimes héros de natures mortes et les amis photographiés au bonheur d’être là, l’autoportrait revient régulièrement, parfois mis en scène. Hervé Guibert était beau, mais son allure élégante l’intéressait moins que le personnage auquel il refusait sa complaisance. Assidu, fidèle, il maintiendra l’exercice jusqu’aux premières atteintes de la maladie. En réalisant le rêve d’adolescent de faire du cinéma, «La pudeur ou l’impudeur», son premier et unique long-métrage, prendra le relais de la photographie pour livrer la chronique d’une déchéance physique, suivie jusqu’au mois de mars 1991.
Les images exposées sur tout le deuxième étage de la Maison européenne de la photographie font partie de la sélection définitive qu’Hervé Guibert avait faite pour son oeuvre de photographe. De l’Autoportrait de 1976 contemporain de La Mort propagande à la planche contact du Dernier film de 1991, sa manière sobre précieuse ne varie guère et on chercherait en vain dans ces tirages une recherche formelle ou un effet photographique, comme si, au lieu de s’en nourrir, le style devait servir les «beaux moments» qui comptaient d’abord dans sa vie.
Hervé Le Goff




À TRAVERS LA PRESSE

 HERVÉ GUIBERT

La Photo, inéluctablement. Recueil d'articles sur la photographie (1977-1985)

Collection Blanche, Gallimard
Parution : 18-11-1999
«Hervé Guibert entre au journal Le Monde en automne 1977, il n'a pas vingt-trois ans. Il a le front bouclé, un sourire acéré, astral, les mains déjà pleines de chimères, de couteaux, de douceurs. Je l'accueillerai dans nos pages culturelles, la photo devient sa rubrique, puis il vagabonde à travers le cinéma, il ira à Cannes et à Venise, il harmonise ses goûts avec nos projets d'alors, visite le Musée Grévin et les Folies-Bergère, rencontre Bresson et Godard, John Huston au Mexique et Tarkovski à Rome.
Le Monde aura été sa maison, son inventaire, sa chambre aux échos, sa discipline et sa joie quotidiennes, son souci. Il hésitait à s'y sentir chez lui, passait dans ses vastes manteaux et ses vestes bleu sombre, "Le Monde n'est pas fait pour moi, mais je suis fait pour vous", me disait-il, manière de parler, d'avancer, de mélanger les journaux et les livres, d'aller où le porte son troisième œil qui pourchasse les mots, les images, les sons, et les cloue comme des papillons…




Hervé Guibert (Saint-Cloud, 14 décembre 1955 - Clamart, 27 décembre 1991) est un écrivain et journaliste français. Son rapport à l'écriture se nourrit pour l'essentiel d'autobiographie et d'autofiction. Il est également reconnu comme photographe et pour ses écrits sur la photographie.

Hervé Guibert est issu d’une famille de la classe moyenne d’après guerre. Son père est inspecteur vétérinaire et sa mère ne travaille pas. Il a une demi-sœur, Dominique, plus âgée que lui. Ses grand-tantes, Suzanne et Louise, tiennent une place importante dans son univers familial. 

Homosexuel, il construit sa vie sentimentale autour de plusieurs hommes. Trois d’entre eux occupent une place importante dans sa vie et son œuvre : Thierry Jouno, directeur du centre socioculturel des sourds à Vincennes rencontré en 1976, Michel Foucault dont il fait la connaissance en 1977 et Vincent M. un adolescent d’une quinzaine d’années, qui inspirera son roman Fou de Vincent. Il fut un proche du photographe Hans Georg Berger 1 rencontré en 1978 et séjourna dans sa résidence de l’Ile d’Elbe.

Il a été pensionnaire de la Villa Médicis entre 1987 et 1989, en même temps qu'Eugène Savitzkaya et Mathieu Lindon. Ce séjour inspira son roman L'Incognito.

En janvier 1988, il apprend qu’il est atteint par le sida. En juin de l’année suivante, il se marie avec Christine S., la compagne de Thierry Jouno. En 1990, il révèle sa séropositivité dans son roman À l'ami qui ne m'a pas sauvé la vie - qui le fera connaître par ailleurs à un public bien plus important. Ce roman sera le premier d'une trilogie, composée également du Protocole compassionnel et de l'Homme au chapeau rouge. Dans ces derniers ouvrages, il décrit de façon quotidienne l'avancée de sa maladie.

Il réalise un travail artistique acharné sur le SIDA qui inlassablement lui retire ses forces, notamment au travers de photographies de son corps et d'un film, La Pudeur ou l'Impudeur qu'il réalisa avec la productrice Pascale Breugnot quelques semaines avant sa mort, et diffusé à la télévision le 30 janvier 1992.

Presque aveugle à cause de la maladie, il tente de mettre fin à ses jours la veille de ses 36 ans. Il meurt 14 jours plus tard, le 27 décembre 1991. Il est enterré à Rio nell'Elba près de l'ermitage de Santa Catarina (rive orientale de l'Ile d'Elbe).

Je suis mort du Sida, mais le Sida n’est pas mort avec moi

Au départ, il rêvait d'être cinéaste. A 17 ans, recalé au concours de l'Idhec, Hervé Guibert s'intéresse à la photographie avec un petit Rollei offert par son père qu'il gardera toute sa vie. Il expose et publie plusieurs ouvrages. Après quelques débuts difficiles dans sa carrière de comédien, qui lui font rencontrer Patrice Chéreau - plus tard, il écrira avec lui le scénario de 'L'Homme blessé' - à 21 ans, il intègre la rédaction du 'Monde' où il est critique à la rubrique photographie pendant huit ans; c'est la période la pleine expansion de cet art de l'image. Petit prince aux dons multiples, il n'a que 23 ans quand il publie, en 1977, grâce à Régine Deforges, son premier livre, 'La Mort propagande'. Son deuxième roman, 'Suzanne et Louise', est davantage un roman photo. Homosexuel, atteint du sida, Hervé Guibert a constamment placé la maladie au coeur de son oeuvre. Après plusieurs livres au succès incontestable, il atteint la gloire en 1990, en révélant sa maladie dans 'A l'ami qui ne m'a pas sauvé la vie', talent qu'il confirme l'année suivante avec 'Le Protocole compassionnel'. De son mal mortel, il va faire le 'grand' reportage de sa vie. Il aura, en tout cas, goûté à toutes les formes d'oeuvre d'art durant sa vie : photographe, journaliste, écrivain - avec pas moins de 28 ouvrages -, chroniqueur de photographies, scénariste et vidéaste... Il meurt, à 36 ans, des suites d'une tentative de suicide ; il ne pouvait plus supporter sa lente agonie.






Robert PUJADE, Hervé Guibert : une leçon de photographie
Compte rendu par Arnaud Genon
Référence(s) :
Lyon, université Claude Bernard Lyon 1, INSA de Lyon, 2008, 109 p. , 10,50 €

Texte | Notes | Citation | Auteur
TEXTE INTÉGRAL



  • 1 Hervé Guibert, La Photo, inéluctablement, Paris, Gallimard, 1999.
  • 2 Hervé Guibert, Articles intrépides, Paris, Gallimard, 2008.
  • 3 Hervé Guibert, Le Mausolée des amants, journal, 1976-1991, Paris, Gallimard, 2001.
  • 4 Hervé Guibert, La Pudeur ou l’Impudeur, BQHL éditions, 2009.
1
Hervé Guibert, disparu en 1991, a laissé derrière lui une œuvre riche et protéiforme, hélas souvent médiatiquement réduite aux seuls textes qu’il avait consacrés au sida, maladie qui avait « nourri » ses dernières œuvres. Depuis une dizaine d’années, la publication d’inédits relatifs à son travail journalistique et critique (La Photo inéluctablement1, Articles intrépides2), à son œuvre littéraire (Le Mausolée des amants, journal, 1976-19913) ou cinématographique (La Pudeur ou l’Impudeur4) ont permis de (re)découvrir les différentes facettes d’un talent singulier.
  • 5 Voir notamment : Ralph Sarkonak, Angelic Echoes, Hervé Guibert and company, Toronto, University of(...)
  • 6 Robert Pujade, Hervé Guibert : une leçon de photographie, Lyon, université Claude Bernard Lyon 1,(...)
2
La critique, d’abord relativement silencieuse, s’intéresse désormais régulièrement à son œuvre littéraire5 et, fait nouveau, à son travail photographique. Il est vrai que les romans de Guibert ont souvent occulté ses écrits de critique photographique au journal Le Monde et le photographe qu’il fut aussi, même si cela peut paraître étrange à toute personne ayant approché d’assez près l’ensemble de sa production artistique. En effet, l’œuvre de l’auteur invite à un aller-retour entre écriture et photographie dans la mesure où Guibert a défendu l’idée, ainsi que le souligne Robert Pujade, « que la photographie parle, ou plus exactement exprime quelque chose que l’écriture a vocation de parachever6 ».
  • 7 Frédérique Poinat, L’Œuvre siamoise : Hervé Guibert et l’expérience photographique, Paris, L’Harma(...)
3
Frédérique Poinat, en publiant en 2008 L’Œuvre siamoise : Hervé Guibert et l’expérience photographique7, faisait déjà ce constat : une approche sérieuse de l’œuvre d’Hervé Guibert ne peut faire abstraction de sa « part » photographique. Cependant, elle notait justement, à l’instar de Robert Pujade, que le travail photographique de l’auteur restait encore « un terrain incertain » (Poinat, p. 18). Considérant les photographies de Guibert comme « l’œuvre siamoise », « le versant muet » (Poinat, p. 21) de l’œuvre littéraire, elle envisageait les différentes postures de Guibert face à « l’objet photographique » : photographe, écrivain, modèle et vidéaste.
4
En 2008, Robert Pujade s’intéressait lui aussi au Guibert photographe dans son analyse intitulée Hervé Guibert : une leçon de photographie. Adoptant une perspective similaire à celle de Frédérique Poinat, il ne considère pas la photographie guibertienne comme autonome. Il propose une relecture de l’œuvre de Guibert en « analysant les correspondances et les antagonismes entre ces deux pratiques de soi, l’écriture et la photographie » (Pujade, quatrième de couverture), à partir de trois axes qui constituent les trois chapitres de son ouvrage : « écrire ou photographier », « le critique photographique », « Hervé Guibert, Photographe ? ».
5
La première partie de la présente étude se penche donc sur l’alternative – écrire ou photographier – qui alimente nombre de textes de l’écrivain-photographe. Robert Pujade démontre que chez Guibert (comme chez Claudel), l’envie de photographier devient un prétexte à l’écriture et ce désir vient même jusqu’à s’ériger en « principe d’écriture ». Cependant, si l’on trouve à l’origine de l’acte photographique un désir, la photographie a cela de contradictoire qu’elle contient la possible réalisation de ce désir d’image et son interruption même. En effet, ne pas photographier, c’est conserver le désir d’une intention auquel l’acte viendrait mettre un terme. Inversement, photographier, c’est mettre fin à un désir mais se rendre, par ailleurs, disponible pour une autre envie.
6
Le désir hante l’appréhension guibertienne de la photographie. Elle est, nous dit Robert Pujade, « un exercice d’assimilation », « un acte prédateur » (Pujade, p. 13), elle porte le désir et même la sexualité de celui qui l’a prise. Mais là où la photographie peut n’être qu’une image privée traduisant le désir de l’opérateur, le texte littéraire renvoie, quant à lui, « le lecteur à sa propre représentation, [qui] apparaît plus propre à développer le fantasme et le rêve » (Pujade, p. 16).
7
Robert Pujade souligne que les fantasmes occupent une large place dans le travail de Guibert comme en témoignent, notamment, les quatre textes intitulés « Fantasme de photographie » dans L’Image fantôme (Minuit, 1981). À la comparaison entre le troisième d’entre eux et une des photographies de Guibert, Louise, 1978-1979, Pujade remarque avec justesse que « l’espace du Fantasme de photographie se déploie dans le texte et non pas dans la photographie » (Pujade, p. 21). Ainsi, l’écriture se trouve être un lieu permettant de différer voire même de rendre impossible la photographie et de fournir, par là, « un espace textuel au désir » (Pujade, p. 23). Car ces fantasmes d’images ont pour vocation à n’être que des photographies in absentia. Cette évocation d’images absentes amène Robert Pujade à aborder la thématique de la cécité qui constitue une hantise pour Guibert. Elle permet à l’écrivain de « donner une explication du fantasme qui ferait l’économie de la vision » (Pujade, p. 26).
8
Robert Pujade envisage, dans un deuxième temps, le critique photographique que fut Guibert et la manière dont cette activité permit au jeune journaliste de découvrir le mode d’expression des photographes tout en se maintenant dans son projet d’écriture de soi. La méthode qu’emploie Guibert pour approcher les œuvres consiste à opposer sa « propre sensibilité à celle des photographes » (Pujade, p. 37) et à créer un échange entre son texte et l’image. Lorsqu’il évoque la biographie des artistes, il cherche toujours, s’appuyant sur sa propre pratique photographique, à atteindre l’auteur en parlant de son travail car, selon lui, l’œuvre constituerait un reflet de la vie du photographe. Il considère ainsi le reportage photographique comme étant le plus conforme à ses « attentes littéraires » (Pujade, p. 47). En effet, il « supporte la dimension humaine qu’il [Guibert] considère comme essentielle » (Pujade, p. 50). Enfin, pour conclure cette partie, Robert Pujade aborde le rapport entre la photographie et la réalité qu’envisage Hervé Guibert dans plusieurs de ses articles. Sur ce point, on apprend que pour Guibert la transformation de la réalité n’est pas seulement une caractéristique de la photographie mais aussi et surtout sa « vocation essentielle » (Pujade, p. 54). C’est pourquoi Guibert préfère les photographies en noir et blanc, ces dernières étant plus propices aux effets que celles en couleurs, bornées selon Guibert à « l’ordinaire de la vue » (Pujade, p. 54).
9
La troisième et dernière partie interroge Hervé Guibert en tant que photographe. Partant du recueil Le Seul Visage (Minuit, 1984) et de la photographie éponyme, Robert Pujade commence par noter que Hervé Guibert a ouvert une voie « dans laquelle se rallient les productions photographiques développées en contexte littéraire, comme celles de Denis Roche ou Sophie Calle » (Pujade, p. 65). Hervé Guibert s’est toujours positionné comme amateur, surtout par humilité par rapport aux grands noms qu’il côtoyait, mais aussi dans la mesure où il tenait au primat de son activité littéraire. Cependant, note Pujade, « nul doute […] qu’Hervé Guibert sait photographier et que s’il fallait maintenir le qualificatif d’amateur qu’il se donne à lui-même, il faudrait préciser que c’est un amateur des plus éclairés » (Pujade, p. 69). L’analyse distingue, pour terminer, les trois centres d’intérêts du photographe que sont les « autoportraits et autres images s’y référant » (Pujade, p. 77), « le portrait des amis » (Pujade, p. 93) et ce que le critique nomme enfin les « situations photographiques » (Pujade, p. 99).
10
Par ces différentes entrées dans l’œuvre homogène de Guibert, Pujade réussit à révéler la volonté de l’écrivain-photographe de centrer son travail sur le « récit de soi ». Ces différentes postures ont permis à Guibert d’occuper une place « d’inventeur dans l’histoire contemporaine de la photographie, indépendamment de ses réticences à se définir lui-même comme photographe » (Pujade, p. 103). C’est cela que le présent ouvrage, toujours juste et fin, dévoile de manière passionnante.
NOTES

1 Hervé Guibert, La Photo, inéluctablement, Paris, Gallimard, 1999.
2 Hervé Guibert, Articles intrépides, Paris, Gallimard, 2008.
3 Hervé Guibert, Le Mausolée des amants, journal, 1976-1991, Paris, Gallimard, 2001.
4 Hervé Guibert, La Pudeur ou l’Impudeur, BQHL éditions, 2009.
5 Voir notamment : Ralph Sarkonak, Angelic Echoes, Hervé Guibert and company, Toronto, University of Toronto Press, 2000 ; Jean-Pierre Boulé, Hervé Guibert : l’entreprise de l’écriture du moi, Paris, L’Harmattan, coll. “Critiques littéraires”, 2001 ; Arnaud Genon, Hervé Guibert. Vers une esthétique postmoderne, Paris, L’Harmattan, coll. “Critiques littéraires”, 2007.
6 Robert Pujade, Hervé Guibert : une leçon de photographie, Lyon, université Claude Bernard Lyon 1, INSA de Lyon, 2008, p. 7.
7 Frédérique Poinat, L’Œuvre siamoise : Hervé Guibert et l’expérience photographique, Paris, L’Harmattan, coll. “Champs visuels”, 2008.
POUR CITER CET ARTICLE

Référence électronique
Arnaud Genon , « Robert PUJADE, Hervé Guibert : une leçon de photographie », Études photographiques, Notes de lecture, Novembre 2010, [En ligne], mis en ligne le 17 décembre 2010. URL : http://etudesphotographiques.revues.org/3137. Consulté le 21 juillet 2013.




Hervé Guibert, photographe de genre


L’exposition rétrospective de la MEP consacrée à Hervé Guibert (1955-1991) jusqu’au 10 avril tend à reprendre la vie là où il l’avait laissée : dans ses photos. Rongé par une maladie qui ne lui permet guère d’envisager un avenir, il ne lui reste plus qu’à dévisager le présent, à regarder ces beaux moments. C’est dans les années 1980 qu’il réalise alors l’essentiel de sa production organisant des ponts entre photographie, littérature et critique (pour Le Monde). Dans ses Autoportraits, il pose comme un objet au milieu de paysages intimistes. Souvent, le regard est pénétrant. Parfois, il apparaît le visage interrogatif, habité ou défait. Son fantôme acquiert une image tangible. Inéluctable et obsessionnelle, la pratique d’Hervé Guibert est décomposée, hachée entre drame, intimité, affects, reflets d’une époque et anecdotes visuelles. C’est dans les scènes d’intérieurs que le rollei 35 offert par son père parvient le mieux à retranscrire les ambiances. Les sujets (famille, amants, amis) se mobilisent pour trouver une place parmi les draps, billes, tulipes, boules de Noël, ombres chinoises, moustiquaire, marionnettes, livres, ciel, fumée, déguisements, table de travail et machine à écrire… Pourtant, ces petits formats noirs et blancs génèrent, ensemble, une dimension implacable et tendent souvent à ne montrer qu’un seul visage, le sien.
« Longtemps je n’ai supporté et laissé passer de moi qu’une image statique qui ne donnait rien d’autre à voir que son masque, une indication de traits noirs sur la pâte morphologique du visage poudré par la lumière, une tête sans corps et sans front, avec une masse de cheveux bouclés, un regard droit portant le défi du vide, d’une résistance ou d’une inquiétude, le seul signalement d’un nez, le tissu charnu d’une bouche auquel la photo rend la moindre innervation, et qui ne desserre jamais ses lèvres, une sphère à la fois plate et modelée, qui honnit l’angulosité du profil et la réalité masticatoire des dents, et se redonne immuablement, trop sûre de son impénétrabilité, comme l’angelot d’un chromo : une moue posée sur une main fermée ».
Obnubilé par la recherche d’une vérité, Hervé Guibert apparaît là où on ne l’attend pas. Car c’est bien lui qu’on discerne, en creux, dans les écorchés et moulages photographiés dans sa jeunesse au Musée Grévin, semblant avoir pris chair, comme des morceaux de corps auxquels il est parvenu à imprimer une émotion. Ainsi, Hervé Guibert a instillé à ces natures mortes une ambiance comparable aux univers intimistes que Vermeer conférait aux représentations de la vie domestique de son époque. Il a envisagé les lieux comme des anatomies. Il a vu ses objets comme des formes assimilables à son intériorité. Enfin, il a photographié des personnes parce qu’il les aimait à cet instant. Ainsi définit-il le choix de son sujet immergé dans des mises en scène où les pièces s’apparentent à des instances psychiques, comme dans les visions oniriques. Les espaces sont pris en surplomb ou dans la lumière crue d’un face à face, sans issu. L’objectif du photographe consiste à immortaliser un laps de temps. Compte tenu du cadre où ces images prennent place, cette ambition communique alors un sentiment inverse à sa devise : « ne pas perdre espoir, c’est le moment ».


Parangons de l’esthétique du journal intime, les images pour lesquelles le visiteur enthousiasmé se presse propagent pourtant en lui un sentiment d’oppression inéluctable. Si la mauvaise retransmission sonore de la vidéo de 1991 La Pudeur ou l’Impudeur gâche en partie sa réception lors des fortes affluences, elle propage malgré tout une compassion dépassant le champ d’une pratique traversée par la sentinelle du Moi. Narratives et disertes, ses photos sont jalonnées de coutures perceptives (les marges existant entre chaque clichés composant autant de blanc à investir par l’imaginaire du spectateur). Le visible, pour lui, s’écrit.
Exercices d’admirations ou miroirs d’une intériorité duplice, les images d’Hervé Guibert apparaissent comme un moyen de scruter les traces de ses états d’âme sur une pellicule qui semble progressivement plus sensible aux marques que la maladie lui inflige. Hanté par le présent, il étudie en profondeur cet « effet de surface » que représente la photographie selon Wittgenstein, sortant d’une optique de la description pour mener une approche des « airs de famille » appliquée à partir de son seul visage. Et lorsqu’il se cherche dans les yeux de l’autre, c’est souvent dans l’intention d’y voir le reflet lissé de ses propres blessures.
 
   
 Dans la presse française à la fin des années 70, on ne parlait de photographie qu'occasionnellement. Il fallait l'audace et l'indépendance d'esprit d'une Yvonne Baby, chef du service "Culture" au Monde, pardon "Arts, Lettres et Spectacles, comme on disait alors, pour confier la rubrique "Photo" à un jeune inconnu, auteur d'une pièce sur ses tantes. Tout cela à cause de son regard. Pas seulement pour ses beaux yeux mais déjà pour la sensibilité du regard qu'il posait sur le monde. A l'époque, le quotidien vespéral de référence publiait rarement des photos. Guibert se rendit donc aux expositions et en rapporta des récits privilégiant le hors-champ, ce qui ne se dit et ne se voit guère, les à-côtés, les coulisses et les marges, au risque de l'indiscrétion, comme il le fera plus tard dans certains de ses récits et journaux intimes (Le Mausolée des amants). 

Le traitement aux photographes auxquels il rendit visite, les résumant parfois d'une formule saisissante, le grand André Kertesz par exemple, qui ne prenait plus que des Polaroïd à la fin de sa vie "car à son âge, il n'a pas le temps d'attendre le développement, il veut voir l'image tout de suite !". Hervé Guibert était également photographe ; il se disait piètre technicien, oubliant que selon son maître Cartier-Bresson, la technique est ce qu'il y a de moins important. Mais Vincent Josse remarque avec justesse que, si les vérités qu'il révélait sur les uns et les autres dans ses écrits étaient souvent crûes sinon cruelles, "ses photos ne sont jamais désobligeantes". De pudiques noir et blanc qui disaient sa fascination des corps, avec une grâce de calligraphe.

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