ANDERS PETERSEN

Anders Petersen à la BnF : « Mes photographies posent des questions mais ne cherchent pas de réponses »
Le travail du photographe allemand est l'objet d'une retrospective à la BNF Richelieu, du 13 novembre au 2 février
BnF Richelieu, 5 rue Vivienne, Paris,

Anders Petersen [photographies].à la BNF - Richelieu, Galerie Mansart,


DATE : Du Mercredi 13 novembre 2013 au dimanche 2 février 2014

LIEU : BNF - François Mitterrand (Paris 75013)

HORAIRE : De 10h à 19h (dimanche de 12h à 19h)

TARIF : Tarif plein : 7 € Tarif réduit : 5 €





  À TRAVERS LA PRESSE

Par Pauline Le Gall - Le 13/11/2013 Anders Petersen

Pour la première fois en France, une grande exposition est consacrée à Anders Petersen.

Les œuvres présentées par la Bibliothèque Nationale de France retracent la carrière du photographe suédois,

bâtie autour du contact humain et de la liberté du regard.


 La légende d’Anders Petersen commence là où d’autres ont choisi d’échouer : au fond du Reeperbahn, le quartier rouge de Hambourg, dans l’arrière-salle cra-cra du café Lehmitz, où en 1970, ce suédois volant alors âgé de 24 ans, oublia pour une heure son appareil photo. Quand il y retourna, il trouva la faune du bar, constituée en majorité d’anciennes prostituées, de voleurs à la tire, et de semi-cloches, s’amusant à se photographier avec. Petersen, en retour, demandera la permission de leur tirer le portrait. Il restera trois mois au Lehmitz, parmi les épaves.

 Le monde qui s’anime face à Anders Petersen est fait de noir et de blanc. Crues mais sans brutalité, vibrantes mais sans voyeurisme, ses prises de vue traduisent la sincérité de l’œil photographique dans la relation à autrui. L’exposition que lui consacre la Bibliothèque Nationale de France jusqu’au 2 février ne porte pas le nom de rétrospective puisque le but n’est pas de présenter toute l’œuvre du photographe. La commissaire Anne Biroleau préfère dévoiler, en 300 œuvres, le fil rouge de ses différents projets: l’amour d’Autrui. La majuscule est volontaire car Anders Petersen reste avant tout attaché à l’humain et ses énigmes. Ses photos, entre extase et dépression, sont liées à sa vie intime, ses voyages et les relations qu’il noue avec les individus qu’il rencontre.



Expo photo.

Plus de 300 photographies d’Anders Petersen proposent une traversée de l’œuvre élaborée pendant un demi-siècle par l’artiste suédois. Sa pratique vibrante, percutante, proche du snapshot, saisit scènes de rue, portraits, détails du quotidien extravagant ou intime. Ses images doivent leur relief à une pratique aussi hérétique que personnelle du cadrage. Les tirages d’époque voisinent avec les impressions numériques, les livres et les planches contact, dans une conception proche de l’installation. Une exposition de la BnF, de la Galerie VU’ (Paris) et de Fotografiska (Stockholm).





Infos pratiques Date : Du Mercredi 13 novembre 2013 au dimanche 2 février 2014 Horaire : De 10h à 19h (dimanche de 12h à 19h) Tarif : Tarif plein : 7 € Tarif réduit : 5 € Lieu : BNF - François Mitterrand Adresse : 11, Quai François Mauriac Ville : Paris 75013


Comment ne pas ressentir un choc insondable devant une photo d’Anders Petersen, tant il semble que les hommes et les femmes dont il croise la route gardent pour lui leur dernière énergie, leur plus profonde détresse. Un tel condensé d’intensité et d’humanité ne connaît aucun répit. Depuis plus de 40 ans, Anders Petersen s’enfonce en nous.

La BnF-Site Richelieu propose pour la première fois à Paris une rétrospective consacrée au photographe Anders Petersen. Fasciné par le réel et les rencontres du quotidien, l’artiste présente un travail en noir et blanc d’une beauté aussi brutale que saisissante. À découvrir jusqu’au 2 février 2014.

Des femmes, des hommes, des ados, des adultes. Ils boivent, ils chantent, ils parlent, ils font l’amour, ils rient à gorge déployée. Les modèles d’ Anders Petersen, approchés au fil de ses voyages et de ses rencontres ont ce trop plein d’énergie, cet enthousiasme d’être en vie qui les font invariablement sortir du cadre. On entend presque, au cœur de la BnF, le bruissement de leur vêtements et le timbre généreux de leurs voix. Le photographe suédois, qui a désormais presque 70 ans et parle de son travail avec une générosité communicative, l’admet sans détour: son œuvre est le fruit de rencontres et de hasards. Pour sa première rétrospective à la BnF, Petersen expose 330 photos, dont certaines sont inédites, développées sur plusieurs formats (épreuves au sel d’argent, tirages d’époque, impressions numériques de grand format). Le parcours commence par ses séries Roma (2012) et Reggio Emilia (2012) et se termine par Café Lehmitz (1970), son œuvre la plus célèbre. Une série de photos prises par l’artiste dans un café de Hambourg, devant laquelle le spectateur fait la connaissance d’ouvriers, de serveurs, de prostituées, dans une valse de mains, de langues, de jambes et de corps. Un défilé de freaks dont l’une des pièces (Lilly and Rose) a servi à illustrer la pochette du célèbre Rain Dogs de  Tom Waits (1985). Le fil rouge de toutes ces photos? Petersen lui-même. Il a beau photographier des femmes et des hommes de toutes morphologies et origines, des chiens et des chats, son regard est le lien entre toutes ses œuvres. «Derrière toutes ces photos, il y a un homme. Un homme timide, mais enthousiaste, quelqu’un qui a envie de fusionner avec ces gens qu’il photographie. Mes photographies posent des questions mais ne cherchent pas de réponses», commente l’artiste.
















Anders Petersen refuse de définir son style ; quand on lui pose la question, il répond qu’il n’en a pas. Si on le presse, il finit par opter pour “photographie du documentaire subjectif”. Selon lui, la vérité objective n’existe pas. A travers les portraits et les scènes de vie qu’il capte, c’est sa propre vision du monde qu’il illustre. “Les photos, comme les oiseaux, ne viennent pas à vous. Il faut se déplacer pour les obtenir. Vous ne pouvez pas attendre en restant planté là et dire ‘excusez moi, je suis photographe’. Il faut rentrer dans l’action, devenir une part de l’image finale” explique t-il à son ancien élève, J.H. Engström, en 2010.

 Anders Petersen

«L’ancien élève et ami de Christer Stromhölm reste comme toujours attaché à l’humain, à son énigme, à sa solitude et à la profondeur des sentiments complexes qu’il a su mettre en évidence aussi bien à l’hôpital psychiatrique qu’en prison. Pour aboutir à cette profonde « vérité », il vit avec ceux qu’il photographie. Il résume parfaitement le dilemme qui est le sien : « Je sais que pour faire de bonnes photographies, pour être à la distance juste, il faut que j’aie un pied dedans et un pied dehors. Mon problème, c’est que je finis toujours par avoir les deux pieds dedans !
Cela date du tout début, quand, en 1967, il s’installe pour trois ans dans un bistrot du port de Hambourg, le café Lehmnitz, hanté par les marins en goguette, les prostituées, les paumés et les alcooliques du quartier. Là, on boit, on danse, on s’aime, on pleure, on chante. Anders vit là, prend des photos au vol et dresse un portrait bouleversant d’une humanité en dérive qu’il aime profondément. Et il révèle, dans des situations de marginalisation, une intensité et une vérité rares des sentiments.
Poète d’un monde souvent noir, raisonnable à sa manière parce qu’excessif, Anders Petersen est en constante prise de risque.»


 Né à Solna en 1944, Anders Petersen quitte la Suède à 18 ans pour Hambourg, en Allemagne. Pendant cinq ans, il se mêle aux marginaux, se plonge dans la vie nocturne des bars et de la contre-culture de l’époque. De retour en Suède, son travail est repéré par le père de la photographie suédoise moderne, Christer Strömholm, dont il devient l’élève. A la fin des années 60, il retourne en Allemagne pour photographier le café Lehmitz, théâtre de ses frasques de jeunesse.



Depuis, le photographe sillonne les routes et tire le portrait de ses rencontres de Rome à Sète. Ces travaux quotidiens sont publiés dans plusieurs livres, conçus comme des journaux photographiques, tels que “Close Distance” (2002, éd. Journal) ou “City Diary”, qui met en relation son travail et celui de son élève J.H. Engström (2012, éd. Steidl). Entre ces escales de vie, il s’attarde sur des sujets précis, comme la population d’un parc d’attractions (“Gröna Lund”, 1973) ou encore la liberté, son plus grand questionnement. Pour explorer cette thématique, il s’enferme dans une prison (“Fängelse”, 1981-1983), une maison de retraite (“Rågång till karleken”, 1991) et un hôpital psychiatrique (“Ingen har sett allt / Mental Hospital”, 1995).



La philosophie grecque a eu Socrate, Platon puis Aristote, trio linéaire de la pensée. De la même manière, la photographie suédoise a Christer Strömholm, Anders Petersen et J. H. Engström, se transmettant l’apprentissage de l’image comme style de vie. Anders Petersen a été disciple puis professeur à son tour. Le respect, l’absolue sincérité et la qualité de la rencontre sont les points communs de ces trois artistes. Les travaux d’Anders Petersen rappellent la Beat Generation et le journalisme gonzo (à traduire par “pilier de bar”) d’Hunter S. Thompson. Contrairement à la croyance populaire selon laquelle, pour une bonne photo, il faut avoir mit un pied dans l’action, et garder l’autre en dehors. L’artiste suédois saute dedans les deux pieds en avant.







Anders Petersen, one of the most important European photographers living today, has been shaking up the world of photography ever since his debut of raw and intimate photographs of late-night regulars in a Hamburg bar in the 1960s. That body of work was published as a book, Café Lehmitz, which is now widely considered a seminal work in the development of European photography. (On par with, but very different from, Robert Frank's The Americans).

It is practically impossible to separate the man from his photography. He carries his small Contax T3 always, and captures beauty in some of the most unlikely places. With his camera, he records an intensely curious and personal diary.

Born in Stockholm in 1944, he went out on his own, at age 18, to discover the world, starting with Hamburg, Germany. There he encountered a wild nightlife counter-culture which was incredibly and thrillingly different from his rather staid upbringing in Sweden. He soon befriended prostitutes, transvestites, alcoholics and drug users, and adopted a love of nightlife and people living beyond the margins of polite society.

After seeing one photograph made by Christer Strömholm (a cemetery at night with dark footprints in the snow), Petersen went back to Sweden to meet and study photography with Strömholm between 1966 and 1968. Then he returned to Hamburg, where over the course of several years and many many late nights, he took the photos that became his first book, Café Lehmitz.

Since then, he has gone on to publish more than 20 books, almost all of which feel like personal diaries of his experiences with people and places that are only encountered in the outskirts of towns or under cover of darkness.

For an extend period of time, he practically lived in a high-security prison to make the photographs for his 1984 book, Fangelse. He has also documented, in his highly personal style, the people in an insane asylum, and others living in a home for old people. In each body of work, Anders Petersen forces us to regard — from often uncomfortably close vantage points — situations and people that most of us would avoid at all costs. Yet, what he reveals is tenderness, beauty, and common humanity.

In 2005, Anders Petersen spent two two-week residencies in the towns of Gap and St. Etienne in southeast and central France, where he was able to find and photograph more of the outsiders and outcasts that always seem to attract him. The photographs are sometimes disturbingly intimate and difficult. When I first saw them exhibited in Arles in 2006, they made everything else on display at the huge photography festival pale in comparison. They became the “buzz” in Arles. And everyone realized that Anders Petersen (that wildly energetic 62-year-old guy) is still making some of the most arresting personal documentary photographs today — almost 40 years after the powerful and poignant photos from Café Lehmitz.

So, it was with great pleasure that I was able to spend some time with him in November 2006 while he was in Paris. We talked about photography and life in general. We recorded an interview in a busy noisy place. And he generously agreed to share a portfolio of his recent work in Lens Culture, including many images from the exhibition in Arles.

His photographs speak for themselves, but it is a joy to listen to him speak. In this great audio interview for Lens Culture, Anders Petersen talks about: voyeurism, curiosity, vulnerability, longing, and humanity; what qualities he finds essential in making a good photograph; spontaneity versus planned photography. And near the end of the interview, he reveals in humorous detail, one of his working processes (creating a "psychological trap") that allows him to earn friendship and collaboration with strangers all over the world.

Imagine a happy zen monk with a small camera in his hands and a twinkle in his eye — that is Anders Petersen.

— Jim Casper




    Le nouvel Observateur
  

Obsession 
Rétrospective : Anders Petersen
Le travail du photographe allemand est l'objet d'une retrospective à la BNF Richelieu, du 13 novembre au 2 février
Par Philippe Azoury13/11/13

La légende d’Anders Petersen commence là où d’autres ont choisi d’échouer : au fond du Reeperbahn, le quartier rouge de Hambourg, dans l’arrière-salle cra-cra du café Lehmitz, où en 1970, ce suédois volant alors âgé de 24 ans, oublia pour une heure son appareil photo. Quand il y retourna, il trouva la faune du bar, constituée en majorité d’anciennes prostituées, de voleurs à la tire, et de semi-cloches, s’amusant à se photographier avec. Petersen, en retour, demandera la permission de leur tirer le portrait. Il restera trois mois au Lehmitz, parmi les épaves.

Stockholm, 2000 © Anders Petersen, Courtesy Galerie VU’ BnF, Estampes et photographie

EN 1974, la BNF, bien avisée, acquérra 25 des tirages du Café Lehmitz encore précédées d’aucune réputation puisqu’il faudra attendre 1978 pour que paraisse enfin au grand jour ce livre bombe unanimement considéré depuis comme l’un des plus influents de la photographie moderne, avec Les Américains de Robert Frank et Farewell Photography de Daido Moriyama.

Anders Petersen. Paris. 2006 © Anders Petersen. Courtesy Galerie VU’ BnF, Estampes et photographie

Comment ne pas ressentir un choc insondable devant une photo d’Anders Petersen, tant il semble que les hommes et les femmes dont il croise la route gardent pour lui leur dernière énergie, leur plus profonde détresse. Un tel condensé d’intensité et d’humanité ne connaît aucun répit. Depuis plus de 40 ans, Anders Petersen s’enfonce en nous.

Anders Petersen, BNF Richelieu, 13 novembre-2 février, rétrospective assortie d’un catalogue (édition Max Stöm, 55 euros) et d’un film (réalisé par JH Engström, son disciple)
Par Philippe Azoury

Christian Caujolle, Agence VU’ Galerie, Photo Poche n°107, Actes Sud, 2006



Travaux de jeunesse


Petersen a déjà une longue carrière derrière lui. Il commence la photographie à 18 ans, quittant sa Suède natale. Très tôt, il cherche à publier ses travaux sous forme de livres. Après avoir été refusé par sept éditeurs pour son premier essai, il commence à photographier des individus dans un parc d’attraction, une série imprégnée d’une ambiance aussi étrange que joyeuse. En 1973, il réussit à être publié, et il retourne alors à l’école en Suède où il devient un élève de  Christer Strömholm. Il commence alors un travail sur des séries en intérieur, explorant l’univers de l’hôpital psychiatrique et de la prison. Pour Mental Hospital, Petersen vit avec les patients jour et nuit et gagne leur confiance. «Ce qui m’intéresse, explique-t-il, c’est ce qui se cache derrière les portes fermées, ce qui n’est pas évident. Cette approche est très proche du documentaire, mais ce n’est pas réel, c’est entre la réalité et les rêves, je raconte une attente, un état de rêverie.»



Suivre son cœur

Pour Petersen, la photographie ne se définit que dans son rapport au sujet. C’est pourquoi il travaille avec un petit appareil peu intrusif (un Contax T3 35mm) qui lui permet de se faire oublier. «Avec ce petit appareil, je suis si près des gens que je pourrais les toucher. C’est plus facile d’apprendre à les connaître comme ça. J’ai l’air d’être perdu, mais quand je photographie je connais ma place.» Lorsque Petersen rencontre un nouveau sujet, il lui parle, l’emmène boire un verre, apprend à le connaître, dort parfois chez lui ou elle. Puis il se lance, instinctivement. «Quand je prends des photos, précise-t-il, j’essaie de ranger mon cerveau sous mon oreiller! Je suis mon cœur. Il ne faut pas trop réfléchir. Je n’aime pas avoir trop de contrôle, la confusion est très importante pour moi.» Aujourd’hui, il continue à marcher dans les villes du monde entier pour sa série City Diaries, véritable work in Progress composé de visages croisés au hasard. Petersen tisse de vrais liens avec ses modèles et, aussi souvent que possible, il essaie de leur envoyer les photos dont ils sont les sujets. Pour Café Lehmitz, il avait organisé une exposition à Hambourg dans le petit café. Chaque personne qui se reconnaissait sur une photographie pouvait l’emporter. Ses œuvres ne sont restées accrochées que quatre jours et quatre nuits. Comment Petersen imagine l’avenir? Son appareil photo dans sa poche droite, à la recherche de son prochain sujet. «Pour faire ce travail, il faut être assez faible pour sentir, compatir, et il faut aussi être un peu fou.» La formule d’une œuvre passionnante, à découvrir jusqu’au 2 février 2014.

 Anders Petersen, BnF Richelieu, 5 rue Vivienne, Paris, du 13 novembre 2013 au 2 février 2014.


DATE : Du Mercredi 13 novembre 2013 au dimanche 2 février 2014

LIEU : BNF - François Mitterrand (Paris 75013)

HORAIRE : De 10h à 19h (dimanche de 12h à 19h)

TARIF : Tarif plein : 7 € Tarif réduit : 5 €

L’un des plus grands photographes actuels, Anders Petersen (né en 1944), présente en 320 photographies les étapes marquantes de son œuvre. Photographie de rue, portrait, nature morte, les images sont d’abord une manifestation de ses affects.
Entre ses débuts remarqués, – grâce à la série Café Lehmitz (1975) – et l’œuvre en cours intitulée City Diary, on a vu s’épanouir et évoluer un style parfois imité mais jamais égalé.
Les milieux fermés du Café Lehmitz ou de la prison ont laissé place aux labyrinthes des villes, aux rencontres de hasard. Cependant, le travail actuel était déjà en germe dans les toutes premières images. Les objets, les lieux, les habitants des marges photographiés par Petersen se déploient en une constellation de photographies qu’il assemble, déconstruit, remodèle au gré des livres et des nombreuses expositions. Un monde âpre, une vision fulgurante, tranchante : l’auteur se tourne vers le réel et l’affronte. La puissance inégalable du noir et blanc et l’énergie visuelle d’un snapshot virtuose participent d’une volonté affirmée dès ses débuts : Le désir d’être surpris par l’imprévisible, et le souhait d’approcher l’autre au plus près…


Christian CAUJOLLE
Anders PETERSEN
En 1978, la publication de Café Lehmitz révèle, de façon spectaculaire, le nom d’un jeune documentariste suédois, Anders Petersen. Ce livre, devenu un titre culte, chronique avec tendresse et précision le quotidien d’un bar de Hambourg où se retrouvent paumés, prostituées, marins et marginalisés. Durant deux années, Petersen photographie de l’intérieur des pans de vie, la sienne et celle des habitués du lieu, en évitant le voyeurisme. De là le sentiment de proximité, d’immédiateté, de familiarité, qui nous saisit à la vue de ces images.Fidèle à ce principe d’exploration de l’intérieur de mondes clos, Anders Petersen propose d’autres points de vue sur l’hôpital psychiatrique, la prison ou l’asile de vieux. A travers ces microcosmes, il interroge les notions de normalité et parcourt le champ de la nature des relations humaines et des enjeux collectifs. C’est ainsi que cet élève de Christer Strömholm, père de la photographie suédoise, revendiquant la dimension documentaire de son travail, propose une alternative en photographie un humanisme responsable et contemporain.



Anders Petersen, l’envie des autres
Edouard LAUNET 11 novembre 2013 à 18:06

Close Distance, 2002.Close Distance, 2002. (Photo Anders Petersen. Agence Vu)
Photo . Le Suédois, à qui la BNF consacre une rétrospective couvrant un demi-siècle de rencontres, éclaire sa méthode et dévoile ce qui l’anime.

Comme beaucoup de photographes, Anders Petersen est un homme peu démonstratif, presque timide, mais qui aime être proche des gens. Il lui faut parfois des mois pour pénétrer l’intimité de ceux dont il veut tirer le portrait. Toujours en noir et blanc, avec sympathie, de très près (avec un 35 mm). Il approche ses sujets prudemment, s’installant en prison, à l’hospice ou encore au Café Lehmitz de Hambourg, du nom du reportage de 1969 qui a fait sa renommée. Il parle à ces gens, les interroge. «Je pose au fond toujours la même question : qui êtes-vous ? On peut la poser de différente manière, par exemple : quel est votre premier souvenir ?»
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Dans la galerie Mansart de la Bibliothèque nationale, où Anders Petersen est en train d’accrocher les quelque 330 photos de sa rétrospective, nous lui retournons évidemment la question : votre premier souvenir ? «Je suis dans un arbre dans le jardin de ma grand-mère près de Stockholm, j’ai 4 ou 5 ans. Je suis assis dans cet arbre, un cerisier je crois, et j’observe le monde à travers le feuillage. Je vois tout, je ne suis pas vu. J’aperçois un chat noir et blanc, je ressens une atmosphère toute verte de chlorophylle.»

A Voir Diaporama: Les rêves et les désirs d’Anders Petersen



Vif. Le photographe suédois est un type agréable, causant. Les mots désir et rêve reviennent souvent dans ses propos. Exemple : «En redécouvrant mes photos pour cette rétrospective, je vois mes faiblesses dans chacune de mes images, mes rêves, mes désirs, des handicaps, des secrets : ils ne changent pas tant que ça avec le temps.» Certes, depuis le choc du Café Lehmitz, il y a eu une évolution significative dans sa manière de faire des images. «Ces dernières années, note le spécialiste Urs Stahel dans le catalogue, l’œuvre d’Anders Petersen s’est condensée en une sorte de journal intime, de rencontres visuelles, l’aspect documentaire cédant progressivement la place à la performance. Son regard s’aiguise, déchire les apparences.» Mais pour le photographe de 69 ans, la quête n’a pas changé : «Les questions que je me pose sont presque les mêmes que quand j’ai démarré. A la différence que je ne cherche plus vraiment de réponses. Avant, je croyais savoir, mais c’était une illusion. Plus vous vieillissez, moins vous en savez.»
Condensées en quelques mots lapidaires, les questions qui obsèdent Petersen sont : «Qui suis-je ? Et qui sont-ils ?» En ce sens, la rétrospective de la BNF peut être vue comme une manière d’autoportrait éclaté en quelques centaines d’images. Elle commence par les travaux les plus récents (City Diary) et s’achève sur une photo de 1962, deux garçons dans une forêt, penchés sur une mare pour y boire : quelque chose comme le premier souvenir.

Pourquoi, pour se chercher lui-même, Petersen s’est-il focalisé sur les marges les plus sombres de la société : la folie, la prison, l’hôpital ? «Sombres ? Ah mais je ne crois pas ! Dans une prison, je suis à la recherche de l’idée de liberté. Qu’est-ce que ça signifie ? Et si je vais dans un asile, c’est parce que, entre quatre murs, vous savez toujours où vous êtes. En m’enfermant ainsi, j’apprends à connaître les gens, et eux me découvrent. Je connais leur lumière, leurs relations, leurs situations. Le Café Lehmitz, c’était aussi ce genre de projet : des gens, des situations entre quatre murs.» Lui faut-il donc toujours un espace clos pour photographier ? «Non, plus aujourd’hui. Maintenant, les murs sont en moi, la boîte est en moi. Je peux travailler plus librement, sortir dans la rue.» Cela a donné City Diary et d’autres séries urbaines.

Dans l’exposition, le photographe évalue à 80% la proportion d’images faites au terme d’un long travail d’approche, le reste étant des clichés pris sur le vif. Il y a dans le lot quelques icônes, comme cette photo de deux clients du Café Lehmitz (Lily et Rose), qui illustre l’album Rain Dogs, de Tom Waits. «Lily était une femme très charismatique, tout le monde en était amoureux. Rose bossait dans un resto du coin, jusqu’à 23 heures. Tom Waits a choisi cette image car je crois qu’il ressemblait à Rose quand il était jeune. Je n’en suis pas sûr : on n’en a jamais parlé.»

Et puis, il y a cette photographie de cimetière sous la neige, avec des traces de pas autour des tombes, qui se trouve être un hommage de Petersen à son professeur, Christer Strömholm (lire ci-contre). Ce dernier avait, dans les années 60, pris une photo presque similaire dans un cimetière parisien. «On avait l’impression que les morts s’étaient levés de leurs tombeaux pendant la nuit pour aller se rendre visite les uns aux autres. Je me souviens d’avoir été fortement saisi par le fait que l’on puisse utiliser la photographie de cette manière presque littéraire», a confié Petersen à son collègue suédois Hasse Persson.
 Anders Petersen a choisi lui-même les photos de sa rétrospective, avec l’aide de la Galerie Vu (1). Il ne travaille qu’en argentique. Chez lui, en Suède, il stocke une quantité faramineuse de planches-contacts. «Je garde tout. Je n’ai pas le temps de trier, et pas d’assistant.» Sur ses derniers travaux, les négatifs sont numérisés avant d’en faire des tirages au jet d’encre. Petersen travaille sur ces fichiers comme en chambre noire, éclaire un visage ici, assombrit tel détail là. Recadre peu. Continue de shooter chaque jour avec son Contax. Il professe qu’il faut photographier avec le cœur, à l’instinct, pas avec la tête. Il a fait un peu de couleur dans les années 70, pour gagner sa vie, mais a vite arrêté : «Il y a plus de couleurs dans le noir et blanc», aime-t-il à dire.

Le Suédois a parfois des nouvelles de gens qu’il a photographiés. «Des personnes que je n’ai pas vues depuis quarante ans m’envoient des mails. C’est formidable, comme une grande famille. Une photo peut changer une vie, mais dit comme ça, cela fait un peu prétentieux, non ?» La photo est pour lui un moyen d’approcher les gens, de se reconnaître en eux. «Grâce à elle, je vais vers les autres, je peux leur demander qui ils sont, ce qu’ils aiment. On se balade ensemble, je n’arrête pas de les photographier, et ensuite je retourne leur montrer les images, leur dis ce que je veux en faire.»

Cinquante ans de photos, et à la fin cet enseignement : «La seule chose que vous apprenez avec le temps, c’est que sans vos amis, vos proches, les gens autour de vous, vous n’êtes rien, c’est aussi simple que ça.»

(1) La Galerie Vu présente aussi une exposition Anders Petersen au 58, rue Saint-Lazare, 75009. Jusqu’au 11 janvier. Rens. : 01 53 01 85 85 et www.galerievu.com


Edouard LAUNET

Anders Petersen Bibliothèque nationale de France-Richelieu, galerie Mansart, 5, rue Vivienne, 75001. Jusqu’au 2 février. Rens. : 01 53 79 49 49 et www.bnf.fr

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