Journal du monde d'avant par LACAUFEU -photos Patricia LEJAUNE

Journal du monde d’avant (12)

masque lejaune

photo Patricia Lejaune

A quoi ressemblerait la reprise ? A quelque chose de chaotique, comme la fin d’une grève qui n’aurait jamais été votée. Ou la libération conditionnelle d’un détenu pour un crime jamais commis ni jugé. Petite heure de récréation courue sous un ciel couvert. Zigzag entre les crachats des permissionnaires qui glissent comme des balles sifflantes. Les réseaux n’ont pas de goût, n’ont pas de mains et ne sentent rien… Ils négligent la caresse. Leur surchauffe nous refroidit puisqu’elle consume insidieusement le monde. Sans eux nous serions perdus, dit-on . En quoi la bouée numérique nous guérit-elle ? Pour certains c’est déjà la noyade. Mise à l’écart les uns des autres . Le manque nous gagne peu à peu ! Pendant qu’ailleurs une autre partie de l’espèce vit sa pause les pieds dans le sable.
« L’ennui édicte son désir parabolique. Assurément la pleine lune, la vilaine, déforme la réalité…Famille exemplaire pour formulaire décent. Jusqu’ au sourire le règne du clinquant. Plein soleil et pas légers presque cavaliers…La rage l’anime déjà. Rire clownesque quand les rythmes colorés galèrent… » 

Journal du monde d’avant (13)

Rues désertes pour un premier défilé d’images revendicatives. Pancartes virtuelles et sonos muettes… La colère manifeste de chacun et l’injustice rivées à la chaîne du soi. L’expérience d’une détention à ciel ouvert a réduit pour un temps la dispersion des gaz et même les grenades sont au chômage partiel. Pour certains c’est l’avènement du télétravailleur des nouveaux temps modernes. Paiement sans contact au prix fort ! L’asservissement numérique nous confinait depuis longtemps. Tel un respirateur affectif, le leurre visuel tient nos familles entre ses mains. Mais qui connaîtra encore le goût d’un baiser ?
« La photo transpire l’espoir, c’est l’heure du mensonge. Un soleil froid qui chauffe les peaux mais pas les cœurs ! Les lieux et les souvenirs agrémentent la boutique des idylles vides de sens. L’homme confondu par la beauté fugace d’une rose cueillie. Images sur les murs, visages éclairés. On présente pourtant à chaque nouvelle relation un monde nouveau, un visage neuf. Il est dangereux de décrocher… » 

Journal du monde d’avant (11)

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photo Patricia Lejaune


A côté de nos pompes ? Et si on prenait goût au ciel bleu, au calme olympien, aux courses alimentaires près de chez nous. La vie de famille retrouvée – était-elle vraiment perdue ? Les avions en papier décorés de dessins d’enfants peuplent la toile. Une pensée émerge d’un parterre de fleurs en omettant de consommer. Même enfermé on sent l’odeur de gâteaux à partager, des vrais, dont chacun aurait sa part… Revenu à la mode, ce mot qu’on ne prononçait plus en public : Vivre ! Combien de temps dureront les applaudissements ? Et demain, que faire de nos mains ? De nos pieds surtout – et pour quelle marche ?
« La nuit tombe à l’heure s’achètent des bouts d’âme. Embrasser son oreillette avec douceur et y glisser un sourire. Lui occupe une infime partie de la lisière du champ. Combien s’évapore la raison quand on chiffre la note. Arrivage d’un temps peau de chagrin. Chant impie… »



Journal du monde d’avant (10)

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photo Patricia Lejaune


Comment parler du monde d’avant et avec quels mots ? Pensons-nous vraiment que rien n’a existé, qu’aucune crise ne nous a touchés ? Oubliées les fosses communes, les réas encombrées de la grippe de Hong-Kong qui fit 31000 morts à la fin des années 60. Les médias aux ordres restèrent quasi muets ! Encore plus loin, les dizaines de milliers de morts de la grippe asiatique dans les années 50…Notre amnésie est un puits sans fond. La porte reste fermée et le courrier ne parvient plus. Les gouvernants partout incapables de compter les morts sont au garde-à-vous, non plus devant les militaires mais devant les médecins. Ils naviguent comme un porte-avion à la dérive. En attendant que la porte s’ouvre, demeure le parti pris du sous-sol…Demain s’appelle hier !
« Faire banquette. La vie décide pour toi ! Ni les boîtes à chaussures, ni les porte-manteaux ne rendent extrêmes les bords. Brouillard esthétique. Bousculades littérales et assertions. La parole prend acte et jamais ne rend rien. C’est jusqu’au sourire le règne du clinquant. Soudain les ravageurs d’essence à carburer. Extrait de banlieue, dispo en pharmacie. Qu’on sonne pour l’heure le désert mental ! Quelques planques, garages maquillés. Filature de soi,   filature de l’autre ! Vile frousse. Autant de boulangeries sur les trottoirs. Dire son pays dérapant. Marché extra sitôt saturé. Délocalise la boule et la fourguer aux étoiles. Vue d’espace un vaisseau éclate… »

Journal du monde d’avant (9)

Patagonie Chili

photo Patricia Lejaune




Les vieux ne liront plus de romans d’amour…Les vieux ne diront plus rien maintenant que Luis* est parti…Nous ne ferons pas l’économie de traverser l’épreuve à la nage avec masque et tuba. Une plongée vertigineuse dans l’abîme du mensonge sociétal. La confusion d’avoir parqué les uns pour le bien des autres. Le discours ambiant est-il plus respirable que l’air ? Un réseau fictif alimente désormais les délires face à la mort. Vieux serait-il devenu un gros mot comme pauvre ? Mes notes finiront probablement un jour dans la benne d’un mouroir !
« Décors silencieux. Lui tombe de sommeil. Pas de concessions répète-t-il…Poids d’une lourdeur peu commune. Paix à la mesure de dégâts. Eaux désopilantes qui se retirent après quelques pressions. Lui s’enlise et déconcerte l’entourage. Lui clame son impossible départ. Plaintes en sourdine parvenues jusqu’à lui. Arpèges d’oubli dus aux sourires. Alliage des numéros croqueurs de puces. Voyelle pluvieuse, douceâtre. Voie lactée… »
Luis Sepulveda. écrivain chilien (1949-2020) décédé du Coronavirus en Espagne .
« Le vieux qui lisait des romans d’amour » 1992


Journal du monde d’avant (8)

P Lejaune

photo Patricia Lejaune


Intrusion de l’accord dissonant… Assez de cette marche funèbre, ce n’est pas une retraite, c’est la Berezina ! Privation d’air et de mouvements assurés. A la station service de l’urgence on pleure des soignants remués. Du blanc, du bleu et du noir pour finir…Le chœur de Belphégor défilera-il pour la fête nationale ? Au soleil ou à midi, les Champs déguisés en couloirs convalescents… Ailleurs, les coloris mortels de l’ouragan Katrina décorent encore ma mémoire. Mais qui aujourd’hui soufflera dans les tubas, un défilé de respirateurs ? Dans leurs îles les vautours s’impatientent. Leurs jets dévoreurs d’espace sont fins prêts ! Que dire de mes notes d’avant ? Elles soupirent de plus en plus.
 « Mots jaloux. Sur l’angle plié d’un drap. Réunis pour un festin sans nom, l’élite des oiseaux. Prendre un verre rapidement et le reposer vide. Lui s’engage aussitôt dans le couloir…Mais trop pour vouloir avancer. Lui va comme un gant oublié sur l’escalier. Lui entreprend l’ébauche d’une causette. Tout seul se raconte des historiettes. Appels catastrophiques… Terre d’accueil pour les naufrages. Chiche que Lui embarques ! Caps aphones. Lui marron doucement. Les engins toilettes les quais. Du battement téléphage un cil frémit. Main dans la main. Une habillée d’un gant l’autre laissée libre… »   






Journal du monde d’avant (7)


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photo Patricia Lejaune


Deux corbeaux connectés se disputent le cri d’une sirène qui retentit …En Asie, le traçage médical des ombres fiévreuses n’indique au fond rien de bon. En voyant les cortèges funèbres de Bergamasques, je n’ai pu m’empêcher de songer au Carrousel de l’Âge de Cristal* : dans cette série futuriste, pur produit des années soixante-dix, on pratiquait une régulation volontaire et statistique destinée à éliminer les plus anciens… Certes le système dogmatique de la Cité des Dômes mettait le curseur plus bas pour l’âge des partants. Et les limiers traquaient les contrevenants… A l’échelle planétaire, la question se pose aujourd’hui : la lente euthanasie des services de santé publique ne produirait-t-elle pas le même résultat ? Je voudrais tellement me tromper. Les images réanimées et les mots d’avant surgissent comme des zombies !
 « L’abonné absent répond toujours quand on le siffle. Messagerie en bandoulière : Présentez âmes ! Ephémère bricole d’un soir de l’ombre. L’ozone déraille à force d’irriter les cordes sensibles…Un raclement feint d’être une plainte et soudain Lui entre. Nous l’avions pressenti. Avec cette odeur si particulière… Lui, celui qui nous occupe, ramasse ses effets et prend la route . Laquelle ? lui-même l’ignore. Totale portance. C’est le mouvement qui importe. Plusieurs photos au mur montrent qu’elles n’ont pas vieillies, elles ! Grains dans un mouchoir. Mirage passé si près du rêve. Lui endort le sable… »
 *L’Âge de cristal : série télévisée de Nolan et Johnson. (1977)

Journal du monde d’avant (2)
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photo Patricia Lejaune


C’était un temps déraisonnable
On avait mis les morts à table…
Les vers d’Aragon chantés par Léo Ferré tournent en boucle dans ma tête tandis que dehors un vent froid et glacial siffle une drôle de marche funèbre. Aujourd’hui les trains évacuent des malades par dizaines sur notre territoire et l’Inde qui déraille à son tour est désormais confinée. Les aéronefs dorment sur les pistes et des mésanges charbonnières se posent dessus. Leur chant magnifique ne saurait masquer le calme trompeur d’un printemps perdu , désert même.  Le sable aussi a oublié nos pas. Les notes, encore les notes, celles que je retrouve…
« Biais nocturne. Rouler des kilomètres au mépris de…Ne pas se relâcher. Trois fois demi-tour sur le rond point. Mais l’image dans la vitrine d’un véhicule feux éteints, le mien ? Souvent l’indicateur embrasse le panneau malgré les balises. La peur tenaille. Souffle court droit dedans. Pas vu venir ! Insulte au silence. Portières claquées sonnant le réveil des cris. Pas ici, pas chez nous. Pardon de ce qui pourrait se produire. D’avance, pas d’omelettes sans casser des œufs. Les chiffres déjà comptables de leurs erreurs. Boulier morbide. Barrage pas un geste ! Eternité de la minute condamnée. Filature de soi, filature de l’autre ! Sortir du lit en courant le plus vite possible. Se barrer, s’effacer, s’extraire du journal rendu illisible par l’averse. De toute façon sous contrôle. »


La fenêtre bleue.
La tour P Lejaune

photo Patricia Lejaune





La tour, prends garde ! De te laisser abattre…disait la comptine. Ceux qui parlent de guerre nous ont proprement dévêtus… Nus dans nos respirations, nous marchons comme des pantins réanimés. Les masques, quand il y en a, tombent sous une pluie de rage,  de cris étouffés et de larmes contenues. Je repense à cette phrase du grand Tolstoï : « Je ne connais dans la vie que deux maux bien réels : c’est le remords et la maladie»  La dévastation n’a d’égale qu’une parole inappropriée et repentante de marionnettiste.  De guerre lasse, dans cette lutte pour la vie apprenez la paix ! La fenêtre bleue de l’espoir vous le demande.
 * Guerre et paix : Léon Tolstoï

Séparation.
dolphins lejaune

photo Patricia Lejaune





Aurais-tu conscience de l’injonction paradoxale qui nous est transmise en urgence ?  Impérieuse union de tous dans l’adversité à tenir la distance respectable ! Brève autorisation d’effacer la promiscuité qu’on ne saurait plus voir…La nage en couloir sévit dans la lagune. Abandon du grand large par nécessité. Dans l’océan de la peur on craint à raison la noyade en solitaire.

Mise à l’écart.

Oman P Lejaune

photo Patricia Lejaune



Lentement le temps lui aussi perd la boussole. Désormais d’autres hommes se voilent le visage comme nos méharistes. Partout un vent mauvais souffle sur les plages, les berges, les parcs…Les moteurs des pick-up crachent un peu moins d’air vicié. Leurs conducteurs affolés ont fui une contagion fiévreuse ! Avait-on nécessairement besoin d’eux pour respirer ? La restriction a été décrétée. Le silence est revenu par la piste habituelle, celle de la vie et de la mort…La vitesse a fait place à la lenteur. Notre regard se noie dans l’horizon sans limite de notre solitude.


L’heure du choix.
P lejaune

photo Patricia Lejaune




Voyager ou demeurer
Embrasser ou essuyer
Entourer ou propager
Confiner ou aérer
Polluer ou soigner
Affamer ou inviter
Exploiter ou aider
Tricher ou déclarer
Ignorer ou regarder
Exporter ou liquider
Trier ou transporter
Déplacer ou intégrer
Respirer ou étouffer
Il faudra choisir.

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