Festival du regard à Cergy.

 


 

500 photos exposées au Festival du regard à Cergy. Marc Riboud, Robert Doisneau, Alberto García-Alix… En exposant les œuvres de grands noms de la photographie, le festival du Val-d’Oise continue de s’affirmer comme le rendez-vous photographique immanquable en Île-de-France. Il débute ce week-end et sera accessible gratuitement jusqu’au 21 novembre.

 



l’arrière-plan... Si on peut considérer que la première photo de l’intime est, en 1840, l’incroyable autoportrait d’Hippolyte Bayard en noyé (protestant ainsi contre l’oubli par l’État de sa propre invention de la photographie), pendant longtemps la mission du photographe était de montrer le monde extérieur, d’être un témoin, un observateur, un reporter. Bien sûr on peut retrouver des traces d’intimité chez Edward Weston, dès 1935, quand il réalise des nus de Charis Wilson qui deviendra sa compagne. Mais celui qui va définitivement ancrer l’intime dans une photographie de témoignage, c’est Robert Frank dans «Les Américains», qui se clôt par une photo prise au petit matin sur une route où l’on devine sa famille endormie dans un véhicule mal garé le long de la route. Quelques figures titulaires ont définitivement fait basculer la photographie dans l’autobiographie et l’intime. 
On peut citer Nan Goldin et sa «ballade de la dépendance sexuelle» (1986), toute l’école japonaise issue de Nobuyoshi Araki et de Daido Moriyama, ainsi que la filiation nordique qui s’ouvre avec Christer Strömholm, s’épanouit avec Anders Petersen et se multiplie au XXIème siècle avec JH Engstrom, Jacob Aue Sobol et beaucoup d’autres...
En France, l’arrivée quasi simultanée dans le sillage de Christian Caujolle de l’agence Vu d’Antoine d’Agata et de Michael Ackerman, à la fin des années 1990, ancrent définitivement le corps du photographe comme étant un élément constitutif du travail artistique. Désormais, le photographe est autant derrière l’appareil que devant, dans une sorte de dédoublement de personnalité. En accueillant dans cette édition quelques photographies emblématiques de Michael Ackerman et un film sur Antoine d’Agata, nous mettons justement en valeur ce basculement où l’intimité du photographe dialogue en prise directe avec le monde extérieur. Cette façon d’affirmer le « je » (que l’on pourrait prendre pour une forme d’égotisme quand il est mal géré) va aussi permettre de renouveler et de revivifier la photographie créative. En se rapprochant d’une forme de narration, les «mises en scènes» de l’intime vont devenir le pendant photographique de ce que l’on nomme en littérature « l’autofiction ». Ce genre mal défini nous a paru intéressant à mettre en parallèle avec la notion de l’intime photographique. Comment se dévoiler sans aller trop loin ? Comment faire de sa propre personne un personnage « extérieur » ? Comment éviter le piège de l’autocongratulation ou de l’autoflagellation ? Comment trouver la bonne distance quand on est à la fois l’auteur et l’acteur, le sujet et l’objet ? Mais surtout comment mêler fiction et réalité dans ce qui est à la fois une création artistique et un témoignage documentaire ?

Sylvie Hugues et Mathilde Terraube Directrices artistiques du Festival du Regard

 Pour sa sixième édition, le Festival du Regard vous propose une plongée au cœur de l’intime et de l’autofiction. Après avoir exploré la période transitoire de l’adolescence (en 2018), les différentes façons d’« habiter » le monde (en 2019) ou de le parcourir avec curiosité (Voyages extra-ordinaires, 2020), nous vous emmenons aujourd’hui dans l’intimité de photographes-auteurs qui ont pris leur propre vie pour fil conducteur de leur travail. Parmi eux, une grande figure de la photographie, l’espagnol Alberto García-Alix dont nous présentons les images emblématiques devenues cultes représentant un monde alternatif, marqué par la mort et la poésie, l’amour et le désespoir. Parce que dans son œuvre, la vie et la photographie son intimement liées dans un ballet somptueux, inquiétant et d’une rare force visuelle. L’exposition s’ouvre avec son célèbre auto- portrait intitulé «mon coté féminin». L’autoportrait, Jen Davis en a fait le cœur de son travail. Souffrant d’obésité depuis son plus jeune âge, elle s’est photographiée pendant onze ans pour mieux accepter son corps. Dans ses photographies à la beauté troublante, elle semble lancer un défi au regard du spectateur. C’est également avec l’autoportrait que la Canadienne Kourtney Roy enregistre la trace de sa présence dans le monde, dans l’intervalle d’une illusion. Telle une héroïne du grand écran, elle fait corps avec le décor. Les lieux, les espaces, sont pour elle source d’inspiration tout comme pour l’Américaine Eva Rubinstein. Mais à la différence de la jeune artiste flamboyante, la photographe de 88 ans préfère le silence du noir et blanc et la pénombre des intérieurs où déambulent avec grâce les acteurs anonymes de sa vie intime.
Dans le domaine de l’autofiction, nous nous devions de montrer le travail de Sylvia Ney, rendant hommage à Gustave Flaubert que certains considèrent comme le « père » de ce genre littéraire et dont on célèbre cette année le bicentenaire de la naissance. D’écriture il sera aussi question avec le couple Catherine et Marc Riboud. C’est en écrivant que Catherine a surmonté l’épreuve de mettre au monde une enfant trisomique, Clémence. Les textes d’amour et de rejet associés aux images tendres de Marc Riboud sont l’objet d’une exposition montrée pour la première fois... Autre famille, autre façon de narrer l’intime, en prélevant des instants fugaces de bonheur, en carré et en couleur, comme le fait avec délicatesse le photographe Patrick Taberna en véritable chroniqueur du temps qui passe. Quant à Marilia Destot, elle nous livre un journal intime en documentant la vie à deux, puis à trois, avec l’arrivée de l’enfant qui explose les habitudes dans un accrochage en constellation spécialement conçu pour le festival. Accrochage singulier également proposé par la jeune Lolita Bourdet, partie en quête de ses origines au Canada, et qui mêle habilement documents, albums de famille et images actuelles « fictionnalisant » la saga de ses ancêtres. S’il y en a un qui manie l’autofiction à merveille c’est bien Patrick Cockpit avec son road trip loufoque à la recherche des ossements de Franco sous forme d’un journal de bord caustique et railleur. Un peu d’humour, beaucoup de légèreté et surtout une grande liberté, voilà le style de Franck Landron qui photogra- phie comme il respire depuis l’âge de 13 ans tout ce qui l’entoure: l’internat de Pontoise, les copains, les filles, les vacances... tel un Lartigue contemporain. De l’humour Robert Doisneau n’en manquait pas... Ingrédient indispensable au sel de la vie, il le saupoudrait aussi et c’est moins connu, dans les cartes de vœux qu’il réalisait chaque année, mettant en scène ses filles, puis ses petits-enfants. Nous en dévoilons les coulisses...
Enfin, pour conclure, l’Américaine Deanna Dikeman nous livre un témoignage émouvant en photographiant ses parents au moment du départ. Un rituel tout simple qui a duré 27 ans... 90 photographies d’au revoir seront proposées aux visiteurs en fin de parcours, comme pour les saluer et leur dire à bientôt...
Le Festival du Regard n’oublie pas les pionniers (Hippolyte Bayard et son autoportrait en noyé) et ceux qui ont marqué l’histoire de la photographie de l’intime avec des séries ou des images inoubliables rassemblées dans la section « Les Classiques ». Parmi eux, citons « Le voyage sentimental » du photographe japonais Araki, les images floues et tremblantes de femmes fantasmées du tchèque Miroslav Tichý, les étonnants clichés de Lucienne Bloch d’une Frida Kahlo joyeuse et amoureuse, les stupéfiants portraits masqués de sa famille par Ralph Eugene Meatyard et les photographies hantées, où chair et ombre ne font qu’un, de Michael Ackerman.
Pour notre quatrième année à Cergy, nous sommes heureux d’annoncer une nouvelle collaboration avec l’Ecole Nationale Supérieure d’Arts de Paris-Cergy qui s’est concrétisée par un appel à projet lancé au printemps 2021 permettant à trois étudiants d’exposer pour la première fois. Autre nouveauté, le lancement du Projet Erigere - Festival du Regard consistant en des ateliers photogra- phiques menés avec les résidents de Marcouville à Pontoise tout au long de l’année, qui aboutira à une exposition lors de notre édition de 2022.
Durant les week-ends des rencontres avec les photographes, des visites commentées et des lectures de portfolios gratuites par des professionnels, seront organisées. Des projections-débats se tiendront également à la Maison des Arts.
Toutes les expositions sont gratuites, un catalogue édité par Filigranes est offert aux visiteurs sur simple demande.

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