Miss. Tic, icône française du street art, est décédée

 HOMMAGE

 

 



                                             photo Patricia Lejaune / Club photo Montreuil 

 

 

 

 

Miss. Tic, une des figures parisiennes du Street Art, est décédée ce dimanche 22 mai, à la suite d'une maladie. De nombreux murs de Paris arboraient depuis plus de 35 ans ses illustrations impertinentes et politiques.il y a 22 heures
 


                                           photo Patricia Lejaune / Club photo Montreuil

 

Mort de Miss. Tic, une femme mur - Libération

17 nov. 2005Depuis 1985, l'artiste appliquait sur les murs de Paris ses pochoirs virulents et cocasses, et toujours autobiographiques.
 




Archives 2005

Mort de Miss. Tic, une femme mur

Depuis 1985, l’artiste appliquait sur les murs de Paris ses pochoirs virulents et cocasses, et toujours autobiographiques.

 

 par Luc Le Vaillant

publié le 17 novembre 2005 à 4h36

Miss. Tic est décédée ce 22 mai 2022, à 66 ans. Nous republions à cette occasion le portrait paru dans les pages de «Libération», en novembre 2005.

Vous la connaissez tous. Vous ne l’avez jamais vue. Vous connaissez tous Miss. Tic, petit personnage des rues de Paris qui, depuis vingt ans, lézarde la pierre pour en faire jaillir des instants de vérité. Fille en noir et en pochoir qui scande l’époque de ses saillies et de ses slogans, de ses jeux de mots très Libé et de ses doutes qui sont aussi les vôtres. Et c’est la journaliste Jeanne Folly qui la décrit ainsi : «Miss. Tic fait partie des murs. Des murs de Paris […]. Obstinée, virulente, partisane, elle pointe de ses phrases rageuses ou cocasses le monde insane, les jargonneux, le temps qui passe et les amants désabusés.» (1)

 



Vous connaissez tous Miss. Tic mais vous n’avez jamais vu celle qui l’a créée,

 




qui la fait vivre et qui, longtemps, s’est d’autant plus cachée derrière son double qu’elle lui ressemblait trop. Il était temps d’aller voir si l’image et le modèle avaient effectivement des coïncidences de décalcomanies ou préféraient jouer des superpositions en guise de couverture.








Le nom.



 
 
 
 




Le monde de l’art urbain, du graffiti au tag, est un univers où le pseudo est la règle car il s’agit, en toute illégalité revendiquée, de s’approprier un espace public. Et la signature griffe plâtre et ciment avec une force multipliée par la certitude que les nettoyeurs feront place nette. Elle se prénommait Raddiah, elle est devenue Miss. Tic. Et cela n’a rien d’une crise de foi. «La messe ? Au secours !», s’exclame cette «athée pratiquante» qui se revendique «anticurés, antirabbins, anti-imams», mais qui reconnaît pourtant quelques «tentations métaphysiques». Un père tunisien, ouvrier spécialisé puis mandataire aux Halles, «pas du tout intégriste, qui a joué l’intégration». Une mère normande, «paysanne éclairée» et femme au foyer. Une enfance tranquille dans une HLM d’Orly, avec comme lecture Pif le chien, municipalité PCF oblige, et Picsou. Miss. Tic étant «une petite sorcière qui n’arrive pas à piquer son sou fétiche à Picsou». Une sorte de fée Clochette qui, la pauvre, n’arriverait pas à prendre au riche, pour se la donner.

 

 



















Le secret. Il y a chez les graffeurs des manières de société secrète, des façons de cambrioleur de l’aube. On bombe les étoiles en douce et on détale au premier képi pour ne pas finir au poste trop souvent. Cet attrait pour la clandestinité, cette réticence envers la maréchaussée prennent naissance très jeune chez Miss. Tic. D’abord, elle a 10 ans. Accident de voiture. Famille décimée : sa mère, son petit frère. Elle y laisse aussi la vitalité de sa main droite. Ensuite, elle a 16 ans. Décès de son père, mal remis de tout ça. Sa belle-mère, qui tient bistrot, destine la lycéenne au nettoyage des verres et au balayage des arrière-salles. Il est même question de l’envoyer en Tunisie où elle n’a jamais mis les pieds. Avec méthode, avec cette même patience qu’elle met dans le façonnage de ses pochoirs, elle prépare son escapade. Un jour, elle enfourche son Solex et ne rentre pas dîner. Elle est mineure, se félicite d’avoir «toujours fait plus mûre» que son âge. Elle baratine, trouve un job, une chambre. Elle est sans papiers, sans identité avouable, mais elle se débrouille, jusqu’à sa majorité et aussi après. Depuis, elle n’a pas donné de nouvelles. Et c’est comme si personne n’avait cherché à en avoir…

 




 

 


La rue. Comme les rappeurs reconnus, les artistes de rue subissent d’éternels procès en street credibility. Dès qu’ils ont le dur désir de durer et veulent vivre de leurs interventions, le chœur des puristes leur chante pouilles. Miss. Tic est sur le motif depuis deux décades, pensez si les secousses sont venues en saccades. Elle peut bien afficher une dégaine de moineau à la Doisneau, de piaf à la Edith, elle ne s’en laisse pas compter. Une amie : «Elle a un caractère incroyable. Elle vous l’envoie pas dire.» Pour aller au bout de ses nuits, elle fut graphiste, maquettiste, peintre en lettres. Ou même comptable. Aujourd’hui, elle revendique son début de reconnaissance. Oubliés gardes à vue et procès pour dégradation de bâtiments… «On devrait la déclarer d’utilité publique», exige son galeriste. A défaut, elle bénéficie d’un logement-atelier de la ville de Paris dans le XIIIe arrondissement, d’une exposition avec affiches, toiles et photos, de commandes publicitaires et de revenus maigrichons mais raisonnables. Mieux, des commerçants se damneraient pour être graffités par elle et des riverains recouvrent d’un panneau de verre cet art de moins en moins éphémère.




L’ego-trip. Il y a peu de filles dans le graph, monde masculin, physique et risqué. Miss. Tic est la fondatrice du genre. Et n’a pas vraiment fait école, si l’on excepte Miss. Van, l’une de ses rares petites sœurs. Loin du Rimbaud d’Ernest Pignon-Ernest, des ombres blanches de Ménager ou des mosaïques de Space Invader, Miss. Tic sacrifie à l’égo-trip, façon Angot pas dépressive. Sa vie et ses amours, elle les met en scène et en mots. Extraits du journal intime mural de cette double divorcée qui n’a pas voulu d’enfants («Je n’ai de maternelle /Que la langue») et qui se définit comme une «libertine cérébrale». Elle écrit : «J’aime l’inconnu et les inconnus.» «Fais de moi ce que je veux.» «On ne radine pas avec l’amour.» «Je t’aime temps.» «Avec les années, l’amour se fait plus chair.» «Je laisse à désirer.» «Suivre son désir pour ne pas le rencontrer.» «Câlins, calottes.» «Allez faire le mâle ailleurs.» «Tes faims de moi sont difficiles.» Ou encore : «J’ai des frissons tatoués sur la peau du souvenir.» Et ces coqs-à-l’âme légendent les attitudes d’une femme très brune et très offensive qui n’est pas sans lui ressembler. En cheveux, collée contre un mur, avec pistolet, en sous-vêtements, furieuse, fouetteuse, liée. En sorcière, en pirate, en vampire. Tirant sur sa jupe avec, marqué dessous : «Fendue /Défendue.» Miniaturisant un homme entre ses jambes d’un triple constat : «Je t’ai fait marcher. Je t’ai fait courir. Je te ferai tomber.»

 


 



 


 


 

La présidente. Mais Miss. Tic est trop mature pour appartenir à cette génération, uniquement occupée à faire dégorger l’escargot de son ombilic. Périodiquement, elle s’affiche présidente, au moment où d’autres font campagne. Son programme : «Transgresser les frontières /Désorganiser l’ennui /S’inventer des passions /Travestir les clichés.» Une thématique anarcho-désirante de gavroche qui déclame de la poésie, aurait bien fait du théâtre et se vante d’un : «Pas d’idéaux /Juste des idées hautes.» Une vindicte détachée des contingences qui peut dériver en un : «On n’est ni de droite ni de gauche /On est dans la merde», mais aussi se rappeler d’où elle vient, et affirmer, à l’ancienne : «Je ne trahirai pas ma classe.»

 








 

La nuit. Elle a toujours voulu la nuit. La nuit des catimini où Paris lui appartient et où elle se tache les mains à laisser son paraphe. La nuit des alibis qu’elle s’invente pour retrouver le Saint-Germain-des-Prés de Prévert et des surréalistes comme si elle ne savait pas que le temps a fait une embolie et refuse désormais tout retour arrière. La nuit où elle rit et peut «regarder la réalité en farce». La nuit où seul son chat est gris et où elle chérit sa solitude. Assez tout ou rien, très cyclique, elle aime aussi les matins, «comme Nietzsche». Et la boxe, et la corrida. Et les crocodiles d’Afrique qu’elle ne craint pas de tirer par la queue.

(1) Préface à la monographie Miss. Tic in Paris (Critères Urbanité).

20 février 1956 Naissance à Paris Xe. 1966 Accident de voiture. 1972 Mort de son père et départ de la maison. 1985 Création de Miss. Tic. Novembre 2005 Expo à la galerie W, 44, rue Lepic, Paris XVIIIe.












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