GIOTTO
Giotto, le premier artiste
Giotto di Bondone
Au XIVe siècle, en l'émancipant de son statut décoratif, Giotto révolutionne la peinture. C'est pour qualifier son génie que le poète Dante invente le mot “artiste”
Giotto di Bondone ou Ambrogiotto di Bondone est un peintre, un sculpteur et un architecte italien du Trecento, dont les oeuvres sont à l'origine du renouveau de la peinture occidentale
Saint François prêchant aux oiseaux, partie inférieure du tableau d'autel Saint François d'Assise recevant les stigmates, conservé au Louvre. © RMN - Grand Palais -Michel Urtado
Loué par ses contemporains, Dante, Pétrarque et Boccace, admiré par Léonard de Vinci et copié par Michel-Ange, Giotto di Bondone (vers 1267-1337) a été perçu au fil des siècles comme l’auteur d’une révolution picturale sans précédent depuis l’Antiquité.
Ouvrier du peuple
Et pourtant, malgré les honneurs et la fortune, il reste, écrit Farge, « le meilleur ouvrier du peuple ».
C'est le mystère et de l'homme et de l'oeuvre. Il suscite chez ceux qui
l'approchent un sentiment religieux, cette capacité d'émerveillement
devant ce qui nous dépasse. Le génie seul ne l'explique pas. Le fait
qu'avec Giotto la peinture italienne bascule vers la Renaissance, non
plus. Il y a quelque chose en plus. Est-ce parce qu'il avait, comme le
suppose Proust, la capacité de représenter une pensée symbolique par des
scènes quotidiennes, par quelque chose « de plus concret et de plus frappant » ? Giotto peint le peuple, et « le peuple de Giotto ne ressemble à aucun autre », remarque Pleynet. C'est vrai. Mais parce que, chez Giotto, « tout a dû obéir à sa passion d'humanité : le dessin, la lumière, la composition, et son propre génie »,
écrit Farge. Voilà pourquoi le peuple de Giotto ne ressemble à aucun
autre : parce qu'il ressemble à tous les peuples, parce qu'il est le peuple.
Le 27/04/2013 à 00h00
Olivier Cena - Télérama n° 3302
Olivier Cena - Télérama n° 3302
« Giotto changea l'art de la peinture. De la forme grecque il la conduisit à la forme latine moderne. Il posséda l'art le plus complet que personne ait eu ensuite en sa puissance. » Le peintre toscan Cennino Cennini écrit cet hommage à son aîné en 1437. Il montre – avec les deux légendes – l'importance que revêt l'art de Giotto aux yeux des peintres de la Renaissance. Il est le plus grand. Quatre siècles plus tard, dans son Histoire de la peinture en Italie, publiée en 1817, Stendhal apparaît laborieux pour défendre l’œuvre de Giotto jugée « laide » par ses contemporains du début du xixe siècle. Il dit comprendre ce point de vue, passe sous silence le dessin, les portraits, la psychologie des personnages et insiste sur son talent de coloriste. « Il eut le sentiment de la couleur », conclut le romancier. Les réputations vont et viennent.
Mot toscan
Il est à peu près certain que Dante et Giotto se rencontrèrent à Padoue vers 1303. Le poète, chassé de Florence en 1302, s'y était exilé, et le peintre y commençait son plus grand chef-d'oeuvre : les fresques de la chapelle de l'Arena. Peut-être se connaissaient-ils déjà. Quoi qu'il en soit, l'art de Giotto est probablement à l'origine de l'invention de Dante. Le mot toscan jusqu'alors employé, artigiano, qui signifie artisan, ne pouvait, dans l'esprit du poète, convenir à un tel génie. Il invente donc celui d'artiste – artista –, qui ne s'imposera vraiment qu'à la Renaissance. Et aux artistes il offre, à l'instar des princes et des poètes, la gloire. « Cimabue crut dans la peinture tenir le champ [la première place, NDLR] et Giotto à présent a le cri, si bien que la gloire de l'autre est obscure », écrit-il dans le Chant xi du Purgatoire, précisant par là que cette gloire est éphémère. Les réputations vont et viennent. Mais, avant de voler la gloire à Cimabue, Giotto apprit la peinture dans son atelier à Florence.
Ensemble, ils allèrent à Assise réaliser les fresques de l'église inférieure. Les travaux commencèrent vers 1280. Giotto devait avoir 16 ans. En réalité, on ne sait pas grand-chose des débuts de la vie du peintre. On suppose sa naissance vers 1266, pour certains dans le Mugello, à une trentaine de kilomètres au nord-est de Florence, pour d'autres au milieu des vignes de Romignano, entre Florence et Arezzo. La biographie de Giotto est une oeuvre imaginaire. Les fresques, même les plus célèbres comme le cycle de saint François dans l'église supérieure d'Assise et celles de l'Arena, à Padoue, lui sont attribuées. Aucun document ne les authentifie. A partir de rares certitudes (quelques peintures sur bois), les historiens déduisent que telle oeuvre est probablement de lui et de son atelier. Ils lui accordent les plus belles. Ainsi, dans l'église inférieure d'Assise, les scènes les plus expressives (l'ensemble consacré à Isaac ou le décor de la voûte des docteurs de l'Eglise) sont attribuées à l'élève Giotto plutôt qu'au maître Cimabue.
Saint François prêchant aux oiseaux, partie inférieure du tableau d'autel Saint François d'Assise recevant les stigmates, conservé au Louvre. © RMN - Grand Palais -Michel Urtado
Il y a un style Giotto. Et, comme le notait Cennini, il y a un avant et un après ce style. Avant, c'est le grand art byzantin : la mosaïque – la fresque existe mais comme une forme mineure, rapide et économique. Elle présente un inconvénient : son inertie – « une solennelle torpeur », écrit l'historien Louis Gillet (2) . Le Florentin Cimabue (1240-1302) et le Siennois Duccio di Buoninsegna (1255-1318) sont les premiers à s'écarter du style byzantin fixé par la mosaïque – la « maniera graeca ». Le trait se libère, mais les figures conservent encore, surtout dans les fresques de Cimabue, quelque chose de hiératique et une relative platitude. Avec Giotto, l'espace prend de la profondeur, la ligne s'anime, les visages deviennent expressifs, les gestes s'humanisent. La composition s'enrichit. « Les scènes majeures sont établies sur les lignes de regards entrecroisés. Les figures sont commandées par les yeux, par leur attention réciproque », écrivait l'historien André Chastel. Une sensibilité nouvelle habite la matière. La peinture quitte l'univers décoratif dans lequel jusqu'alors elle était tenue. « Par l'autorité de ses chefs-d’œuvre, Giotto émancipe la fresque, constitue la peinture en genre indépendant », conclut Louis Gillet.
A 34 ans, Giotto est célébré par la pape Boniface VIII, qui l'associe au jubilé de 1300 ; puis en 1305 par le cardinal Stefaneschi, neveu de Boniface VIII, qui lui commande la grande fresque de La Navicella destinée à orner la façade de l'ancienne basilique Saint-Pierre de Rome ; puis, en 1330, par le roi Robert de Naples qui le nomme « familier et fidèle du roi » (une forme d'anoblissement) et responsable des créations artistiques du royaume ; enfin, à Florence, par la seigneurie de la ville qui lui confère, en 1334, le titre de « maître et gouverneur » en charge de l'architecture de la ville et de sa cathédrale, Santa Reparata, pour laquelle il dessine un campanile.